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Extension du domaine du chant Paris Palais Garnier 06/24/2007 - Robert Schumann : Chant de l’aube, opus 133 n° 1 – Warnung, opus 119 n° 2 – Abendlied, opus 107 n° 6 – Gekämpft hat meine Barke, opus 104 n° 7 – O Freund, mein Schirm, mein Schutz!, opus 101 n° 6 – Mein schöner Stern, opus 101 n° 4 – Märchenerzählungen, opus 132
Franz Liszt : Nuages gris – Gebet – Und sprich – Ihr Glocken von Marling – Elégie [n° 1]
György Kurtag : (így történt...) extrait de «Játékok III» – Requiem po drugu, opus 26 – Bagatelles, opus 14d
Béla Bartok : Nénie, opus 9a (sz. 45) n° 4 – Cinq chants, opus 16 (sz. 63) – Contrastes, sz. 111
Mireille Delunsch (soprano), Frédéric Chatoux (flûte), Philippe Cuper (clarinette), Frédéric Laroque (violon), Laurent Verney (alto), Martine Bailly (violoncelle), Daniel Marillier (contrebasse), David Lootvoet (harpe), Denis Dubois (harmonium), Pierre-Laurent Aimard (piano)
Après Susan Graham (voir ici), le cycle «La passion du chant selon Pierre-Laurent Aimard» – cinq concerts à Garnier étalés sur deux saisons – se poursuivait avec Mireille Delunsch et toujours en compagnie des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. L’objectif demeure identique: sortir de la routine du récital en complétant le chant par des pièces instrumentales. Et l’on peut faire confiance au pianiste français pour bâtir des programmes aussi originaux que bien conçus, nonobstant de nombreux changements de plateau, à l’image de ce copieux concert rapprochant, en première partie, des pages tardives de deux compositeurs romantiques (Schumann, Liszt) et présentant, en seconde partie, des œuvres de deux compositeurs hongrois (Kurtag, Bartok). Pour chacun d’entre eux prévaut le même schéma – les mélodies sont précédées d’une courte pièce pour piano et suivies d’une partition de musique de chambre – de telle sorte que se succèdent ainsi quatre petits concerts monographiques, même si une unité de ton – généralement introspectif, voire sombre – préside à l’ensemble: une expérience ambitieuse qui ne rebute visiblement pas le public, venu fort nombreux pour un dimanche soir.
Introduit par le premier des ultimes Chants de l’aube (1853), le volet Schumann offre cinq lieder extraits de quatre recueils des dernières années (1849-1853). Mireille Delunsch, qui vient d’incarner Louise (voir ici) puis Elsa (voir ici) à Bastille, ne se montre pas ici sous son meilleur jour: timbre voilé et dépourvu de rondeur, attaques difficiles, tension ne permettant pas aux phrases de se déployer, sinon dans le Mein schöner Stern conclusif. Les rares Märchenerzählungen (1853), dernière partition de musique de chambre laissée par Schumann, forment un appendice de choix: Laurent Verney et Philippe Cuper rejoignent Pierre-Laurent Aimard pour en donner une lecture fine et en demi-teintes, culminant dans l’admirable troisième mouvement.
Parmi les ultima verba de Liszt, Nuages gris (1881) jouit d’une relative notoriété. Ce n’est pas le cas des trois lieder tardifs (1874-1878) sélectionnés par Mireille Delunsch dans un catalogue vocal qui, de façon générale, demeure assez peu connu. L’errance harmonique et mélodique y est certes moins poussée que dans ces Nuages gris, mais la décantation – pour reprendre le terme judicieusement choisi par Aimard – tout aussi frappante, de même que dans l’étrange et immobile (Première) Elégie (1875), où la harpe et l’harmonium colorent discrètement le chant du violoncelle – excellente Martine Bailly – et l’accompagnement du piano.
Auteur d’un Hommage à R. Sch. (destiné au même effectif que les Märchenerzählungen) et Hongrois comme Liszt, Kurtag ouvre fort logiquement la seconde partie de la soirée. Le climat demeure méditatif et funèbre: le glas (à la main gauche) de (c’est arrivé ainsi…), extrait du troisième cahier des Jeux, introduit le Requiem pour un ami (1987), où Mireille Delunsch convainc par son investissement dramatique. Adaptées de différentes pièces des Jeux, les Bagatelles (1981) pour flûte, contrebasse et piano feraient dès lors presque figure de divertissement: avec Frédéric Chatoux et Daniel Marillier, Aimard met en valeur le caractère tour à tour heurté (Choral furieux), lyrique (Hommage à J.S.B., Comme les fleurs de la prairie…, Fleurs nous sommes, de simples fleurs…) et ludique (Sauvage et apprivoisé, La Fille aux cheveux de lin – enragée) de ces six aphorismes.
Les mélodies de Bartok, comme celles de Liszt, ne bénéficient pas d’une grande renommée: précédé de la dernière des quatre Nénies (1910), le cycle des Cinq chants (1916) sur des poèmes d’Andreas Ady mérite pourtant la découverte. Aussi engagée que dans Kurtag, Mireille Delunsch en distille (en allemand) les poisons dépressifs, tandis que la partie de piano est superbement mise en valeur par Pierre-Laurent Aimard. Avec Frédéric Laroque et Philippe Cuper, il conclut sur une interprétation des Contrastes (1938) aussi précise que déhanchée, voire déjantée: malgré l’atmosphère glaciale du Repos central, un retour à la lumière qui clôt de façon bienvenue un programme par ailleurs crépusculaire.
Simon Corley
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