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Un Haendel luxueux! Paris Théâtre des Champs-Elysées 05/23/2007 - Georg Friedrich Haendel : Rodrigo
Maria Riccarda Wesseling (Rodrigo), Maria Bayo (Esilena), Deborah York (Florinda), Kobie Van Rensburg (Giuliano), Anne-Catherine Gillet (Evanco), Max-Emanuel Cencic (Ferrando)
Al Ayre Espanol, Eduardo Lopez Banzo (direction)
Rodrigo est assez peu monté, comparé à d’autres œuvres de Haendel comme Giulio Cesare ou bien Ariodante qui suscite beaucoup d’intérêt ces dernières années. Et c’est bien dommage car cet opéra de jeunesse qui, certes, est loin d’être le meilleur du compositeur, comporte de très belles pages dans lesquelles il est possible d’entendre les prémices d’Agrippine, de Giulio Cesare, etc…
Le rôle-titre devait être chanté par Vivica Genaux qui a dû renoncer : c’est donc Maria Riccarda Wesseling, également souffrante, qui la remplace. La mezzo a appris le rôle en quelques jours, on ne peut donc pas attendre d’elle une interprétation fouillée et recherchée, mais il faut reconnaître qu’elle assume avec un certain brio la partition de Haendel. La voix est chaude, les graves assez somptueux (dans « Occhi veri »). La chanteuse joue souvent sur l’alternance des nuances piano et forte : elle commence par un forte et se retire assez vite pour laisser les couleurs de la note se développer. Elle utilise ce procédé dans l’air « Sommi dei » , particulièrement émouvant.
Maria Bayo est idéale pour chanter Haendel. Malgré une fatigue évidente qui provoque quelques problèmes de justesse, la soprano espagnole illumine le personnage d’Esilena : elle en fait une femme douce, mais au caractère déterminé, bonne et surtout humaine. Ses notes sont toujours comparables à des perles, ses aigus sont cristallins et le timbre de sa voix est ensoleillé. Un air à retenir ? « Egli è tuo » dans lequel la jeune femme accepte de laisser son mari par amour : le duo avec l’excellent violoncelliste est magnifique car Maria Bayo distille les notes une à une et les vocalises, charnues, sont impeccables…
Deborah York connaît toutes les ruses haendeliennes pour avoir beaucoup chanté ce compositeur. Le phrasé, le style sont respectés, mais la voix est assez impersonnelle et lisse et la soprano n’arrive pas à dessiner véritablement un personnage. Son interprétation de la jeune Florinda est transparente et il est assez difficile d’être ému par son sort. La chanteuse s’améliore toutefois au cours de la soirée et elle la finit avec un très joli air « Alle glorie, alle palme » à l’acte II, empreint d’une grande sincérité et d’une certaine musicalité.
Anne-Catherine Gillet chante avec enthousiasme le rôle du prisonnier Evanco. La voix de la jeune soprano s’est fortement épaissie et corsée et elle peut maintenant aborder des personnages qui demandent plus d’engagement et de consistance. Son appel aux armes « Su, all’armi » est chanté avec vaillance et dynamisme. Elle est également très à l’aise dans les vocalises malgré le tempo assez vif adopté par le chef.
Kobie Van Rensburg fut éblouissant du début jusqu’à la fin. Il est idéal pour endosser le costume du traître Giuliano, car la majorité de ses airs sont des airs de bravoure qui lui conviennent parfaitement. Mais le ténor est également capable d’alléger sa voix au maximum pour interpréter le petit bijou qu’est l’air « Allor, che sorge » au troisième acte : il chante ce passage sur un fil de voix, tout en mezza-voce et avec une finesse incroyable. Un moment magique !
Max-Emanuel Cencic campe un sensible et tendre Ferrando : sa voix pure et aérienne lui permet d’humaniser le personnage et de lui donner une profondeur. Le contre-ténor, particulièrement doué pour les vocalises redoutables de Haendel, interprète deux airs dans lesquels il parvient à un certain degré d’intensité. Sa prestation est musicalement plus convaincante que lors de son dernier récital à Gaveau.
Le chef Eduardo Lopez Banzo ne mérite également que des éloges. Sa direction est vive, précise, musicale et il parvient à conserver une tension dramatique pendant toute la représentation. La musique, sous sa baguette, raconte une histoire et l’absence de mise en scène est compensée par cette expressivité, digne d’un Minkowski.
Après deux Haendel en version scénique musicalement un peu décevants, le Théâtre des Champs-Elysées se rattrape largement avec ce superbe concert. Malgré quelques légères réserves, on ne peut que saluer cette interprétation qui rend justice au compositeur.
A noter :
- Cette production fera l’objet d’un enregistrement discographique.
- On pourra retrouver Maria Bayo à Bastille dans Le Barbier de Séville du 18 au 29 mai 2008, Max-Emanuel Cencic aux Champs-Elysées dans Il Sant’Alessio du 21 au 24 novembre et Maria-Riccarda Wesseling dans Orphée et Eurydice à Garnier du 4 au 19 février.
Manon Ardouin
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