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Etats-Unis, rêves et utopies Paris Théâtre Dunois 05/26/2007 - Robert Strizich : Corporate miniatures (création)
Virgil Thomson : Le Berceau de Gertrude Stein
Ned Rorem : Ariel
George Crumb : Dream sequence (Images II)
Hugh Livingston : Einstein once said, «The only reason for time is so that everything doesn’t happen at once»
Geoffrey Gordon : Fallen Eve
William Bolcom : «I am not free» extrait de Songs to dance
John Cage : Credo in US
Ensemble Aleph: Monica Jordan (soprano), Dominique Clément (clarinette), Noëmi Schindler (violon), Christophe Roy (violoncelle), Sylvie Drouin (piano), Jean-Charles François (percussion) – The contemporary music forum (CMF): Carole Bean (flûte), James Stern (violon), Collin Oldham (violoncelle), Lura Johnson (piano), William Richards (percussion)
Dans le cadre de sa résidence au Théâtre Dunois, l’Ensemble Aleph a donné carte blanche au pianiste Guy Livingston, invitant le Forum de musique contemporaine de Washington (DC), groupe de musiciens et de compositeurs créé en 1973, en résidence, pour sa part, à la Corcoran gallery. C’est un véritable «festival de musique américaine» qui a ainsi été proposé au public, d’Ives à Carter en passant par Antheil, V. Thomson, Rorem, Feldman et Crumb, en deux jours et quatre concerts, chacun articulé autour d’un thème: après «Songs to dance», «Process» et «Machines», la soirée de clôture était baptisée «Dreams/utopias», s’ouvrant donc aussi bien à la poésie qu’à la réflexion esthétique ou même politique.
C’est Guy Livingston qui donne d’abord lui-même la création des Corporate miniatures (2006) de Robert Strizich (né en 1945). Compte tenu de son extrême brièveté, une grande partie de l’enjeu de ce cycle doit être recherchée dans son inspiration: les titres des cinq pièces, qu’une voix féminine, restituée par un haut-parleur, énonce au fur et à mesure, désignent ainsi chacun une entreprise (corporate) ayant récemment fait, à son corps défendant, la une de l’actualité et sont assortis d’une indication de tempo fantaisiste et mordante, digne de Satie, Enron étant par exemple marquée Allegro pretenzioso.
On pense d’ailleurs à Satie, mais aussi à Ives, dans Le Berceau de Gertrude Stein (1928) de Virgil Thomson, sous-titré Le Mystère de la rue de Fleurus, par référence au domicile de la femme de lettres américaine, avec laquelle il travaillait alors sur leur opéra Four saints in three acts. Le texte de Georges Hugnet, résolument surréaliste, à l’image de sa phrase conclusive («Chère Gertrude, vous m’avez caché votre correspondance sur papier doré avec les habitants de Mars»), est chanté avec une délicieuse ingénuité, sur un accompagnement simple et régulier du piano.
Fondé sur des poèmes passablement hermétiques de Sylvia Plath, Ariel (1971) de Ned Rorem associe voix, clarinette et piano: les trois mélodies impaires, âpres et dramatiques, contrastent avec le caractère envoûtant et hypnotisant des deux mélodies paires, toutes cinq se révélant d’une terrible exigence pour la chanteuse, Monica Jordan.
Comme à son habitude, George Crumb met en place un dispositif particulièrement original dans Dream sequence (1976), sous-titré Images II – Images I n’étant autre que Black angels, l’un des chevaux de bataille du Quatuor Kronos, et Images III An idyll for the misbegotten). Depuis les coulisses, l’harmonica de verre, par un accord continu de quatre notes, crée une sorte de halo sonore dont les interventions du piano et la douceur des percussions (cymbales suspendues, crotales, bols tibétains, …) prolongent la résonance sur scène, tandis que le violon et le violoncelle, face à face au premier plan côté jardin, échangent quelques bribes de discours. Chuintements et sifflements du percussionniste et de la pianiste, qui fait également vibrer deux verres de cristal et recourt à un maraca, apportent cette touche pittoresque typique de Crumb, ici dans sa veine méditative et planante. Une fois de plus, Satie n’est pas non plus très loin: comme les Vexations, l’exercice, qui vise à décrire l’atmosphère «suspendue, intemporelle» d’une «après-midi de fin d’été», semble en effet pouvoir, sans autre conséquence, durer aussi bien quinze minutes que plusieurs heures.
Une bande réalisée par le frère de Guy Livingston, Hugh, est diffusée pendant l’entracte: intitulée Einstein once said, «The only reason for time is so that everything doesn’t happen at once» et conçue explicitement pour l’occasion – notamment pour s’accommoder des mouvements, conversations et préparatifs inhérents à ce moment du concert – elle évoque irrésistiblement un disque rayé qui serait en outre lu à une vitesse irrégulière.
Fallen Eve (2004) de Geoffrey Gordon (né en 1968) met en musique cinq poèmes de Ted Hughes ayant en commun «la même lutte ancestrale entre le Bien et le Mal ou, peut-être plus précisément, l’innocence et l’expérience charnelle». Faisant appel à l’effectif du Pierrot lunaire enrichi par une large palette de percussions, le recueil se complaît dans une aridité datant des années 1950 (Reveille, Theology), qu’il quitte cependant parfois pour des recherches plus intéressantes sur les couleurs et les timbres (Cleopatra to the asp, Fallen Eve), y compris l’irruption inattendue d’un ragtime, à la manière d’Ives (Narcissi).
Comme durant l’entracte, même le changement de plateau est prétexte à faire de la musique. Monica Jordan chante I am not free, l’une des onze Songs to dance (1989) de William Bolcom (né en 1938) sur des textes de George Montgomery, répétant inlassablement I rearrange the furniture pendant que le piano joue un accompagnement imperturbablement invariant. Joignant le geste à la parole, elle aide les régisseurs en déplaçant énergiquement chaises et pupitres.
Credo in US (1942) de John Cage offre une conclusion iconoclaste et contestataire: étrange et dérisoire credo, dans l’esprit des drapeaux de Jasper Johns, que celui entonné par les deux percussionnistes, principalement munis de boîtes de conserve mais également d’une sirène varésienne, tandis que la pianiste, quand elle ne scande pas des anapestes sur un petit tambour, joue un blues ironique ou un boogie entraînant. En même temps, Steve Antosca, directeur du CFM, manipulant un ordinateur qui remplace le phonographe initialement prévu par Cage, tente de faire entendre des extraits de diverses symphonies (Cinquième de Beethoven, Deuxième de Mahler, Quarantième de Mozart et Première de Brahms) ainsi que d’un entretien avec Cage. Entre les provocations d’Antheil et les trouvailles de Schaeffer, le résultat s’apparente à une joyeuse partie de jeu de massacre, idéalement revigorante pour mettre un point final à cette soirée.
Le site du Théâtre Dunois
Le site de l’Ensemble Aleph
Le site du Contemporary music forum
Le site de George Crumb
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Le site de William Bolcom
Simon Corley
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