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Jeu de massacre

Paris
Théâtre du Châtelet
05/10/2007 -  et 12, 15, 17, 20, 22, 26, 28 mai 2007
Georges Bizet : Carmen

Sylvie Brunet (Carmen), Nikolai Schukoff (Don José), Teddy Tahu Rhodes (Escamillo), Genia Kühmeier (Micaëla), Alain Gabriel (Le Dancaïre), François Piolino (Le Remendado), François Lis (Zuniga), Boris Grappe (Moralès), Gaële Le Roi (Frasquita), Nora Sourouzian (Mercédès), Fabienne Colson (Une marchande d’oranges), Christophe Grapperon (Un bohémien), Micky Dedaj (Lillas Pastia)
Chœur des Musiciens du Louvre-Grenoble, Christophe Grapperon (chef de chœur), Chœur d’enfants Sotto voce, Maîtrise de Paris Scott, Alan Prouty (chef de chœur), Les Musiciens du Louvre-Grenoble, Marc Minkowski (direction)
Martin Kusej (mise en scène), Jens Kilian (décors), Heidi Hackl (costumes), Reinhard Traub (lumières)


Interrogé en septembre dernier sur ce qu’il pensait du public parisien, Jean-Luc Choplin, directeur du Châtelet, avait répondu: «Je le trouve patient, et très indulgent avec les mises en scène à l’allemande qui lui sont montrées depuis vingt ans, chargées de lourdes intentions.» Mais face aux turbulences que connaît la programmation de sa première saison, il a été contraint de faire contre mauvaise fortune bon cœur. La mise en scène de Sandrine Anglade ayant été écartée, officiellement «en raison de difficultés techniques liées à la réalisation des décors», il a bien fallu trouver, dans l’urgence, une solution de rechange afin de pouvoir assurer les huit représentations d’une Carmen très attendue, notamment du fait de la présence de Marc Minkowski dans la fosse: et voilà comment l’on retrouve finalement sur les bords de Seine la production de Martin Kusej, créée en décembre 2004 au Staatsoper de Berlin (Unter den Linden) et à l’occasion de laquelle Rolando Villazon avait effectué une prise de rôle réussie en Don José (voir ici).


Contesté à Salzbourg pour son Don Giovanni (voir ici), plus à l’aise à Zurich et à Rotterdam respectivement dans les univers sulfureux d’Elektra (voir ici) ou de Lady Macbeth (voir ici), le metteur en scène autrichien procède à une relecture en profondeur – au besoin en contradiction avec la lettre, et quelquefois même l’esprit, du livret – comme s’il voulait court-circuiter Meilhac et Halévy pour remonter directement à Mérimée. A la fin de chaque acte, la liste des cadavres ne cesse ainsi de s’allonger: Zuniga (mortellement blessé par Don José) au deuxième, Micaëla (des suites d’une balle perdue tirée par Don José) au troisième et, au dernier, non seulement Carmen, mais aussi Escamillo (vaincu dans l’arène) et Don José (abattu par le peloton d’exécution). Le spectacle – flash-back ou prémonition? – s’était d’ailleurs déjà ouvert, au son de la seconde partie du Prélude du premier acte, sur cette condamnation à mort. Autre élément de cohérence, une bande de tissu, véritable «fil rouge» – et pas seulement en raison de sa couleur – qui, tel le leitmotiv du destin retentissant aux moments-clefs de l’action, fait tour à tour office de bandeau pour le condamné, d’écharpe pour Carmen ou de lien pour sa brève captivité.


Violence et libido sont une fois de plus les maîtres mots de Martin Kusej: sans constituer bien évidemment un contresens dans cette histoire de sang et de sexe qui avait tant effarouché lors de sa création en 1875, faut-il pour autant que ces données soient soulignées de manière aussi lourde et explicite? Au premier acte, le décor de Jens Kilian – l’inévitable plan incliné rotatif – révèle, en tournant sur lui-même, un monde enfoui tel de bas instincts, la manufacture de tabac prenant l’allure d’un capiteux bordel dont les pensionnaires se livrent à des combats dans le sable. Au deuxième acte, dans un no man’s land au centre duquel s’élève une citerne grisâtre, la taverne de Lillas Pastia, où l’on barbote et s’éclabousse à qui mieux mieux, offre une variante plus sordide des plaisirs de la chair. Au troisième acte, les hauts murs d’un édifice gothique en ruines abritent également la débauche: dominé par une Carmen revêtue du manteau bleu d’une une madone, l’autel de guingois sert successivement au jeu, à la boisson et à la fornication.


Le dernier acte contraste en revanche par son dépouillement, les lumières de Reinhard Traub prenant alors toute leur importance, entre ombres chinoises pour le duo entre Carmen et Escamillo et clarté aveuglante pour la liesse populaire. A l’unisson de cette conception plus proche du Venusberg de Tannhäuser ou des casernements de Wozzeck que des remparts de Séville, les costumes de Heidi Hackl évoquent furtivement les années 1940 pour la foule au dernier acte et ne privent ni Escamillo ni sa suite de leurs traditionnels habits de lumière, mais s’en tiennent, pour le reste, à une grisaille atemporelle, tout en permettant de satisfaire, comme dans le Don Giovanni salzbourgeois, le goût de Kusej pour les dessous (féminins et masculins).


On peut en revanche mettre à son actif une véritable direction d’acteurs, même s’il a tendance à entretenir une agitation permanente, culminant jusqu’à la caricature dans les mouvements de foule du dernier acte, entre jogging désordonné et évolution – visiblement inconfortable – en marche arrière. Au soir de la première, bien que présent à Paris pour la reprise de sa mise en scène «remontée» par Elena Tzavara, il ne consent pas à rejoindre les artistes sur le plateau au moment des rappels, pas plus que les autres membres de son équipe: modestie, crainte de la bronca ou négligence? Une telle attitude laisse ouvertes toutes les interprétations tant elle apparaît inhabituelle.


Dure et terne – les moments de détente que ménage cet «opéra comique» ne sont pas le point fort de la soirée – cette Carmen résolument ancrée dans notre temps risquait d’entrer en conflit avec la démarche d’authenticité qui est celle de Minkowski et de ses Musiciens du Louvre-Grenoble. Mais comme le chef semble avoir emprunté son fouet à Zuniga, l’ensemble est trop souvent mené à la hussarde, de façon raide et appuyée, même si l’on relève ici ou là davantage de subtilité et de couleur, comme dans l’introduction du troisième acte, et un second degré amusé dans celle du dernier acte. S’il n’évite pas toujours les décalages dans les ensembles, il s’attache cependant à ne pas couvrir les chanteurs.


Sylvie Brunet campe une Carmen modérément charismatique, dont la prestation vocale, ne déméritant nullement, souffre toutefois d’une émission encombrée, d’instabilité dans le grave de la tessiture et d’un étrange accent. Nikolai Schukoff, problématique Siegfried du Crépuscule des dieux proposé l’an passé au Châtelet mais déjà remarqué en Don José à Lausanne (voir ici), ne concurrence pas les ténors plus héroïques et plus vaillants qui l’ont précédé dans le rôle: cela étant, non seulement il attaque pianissimo le fameux si bémol concluant son air, mais jusque dans la tension qui affecte parfois ses aigus, il incarne de façon très convaincante le personnage tel que Kusej le dépeint, faible et naïf brigadier provincial, victime, tel Wozzeck, des brimades de son lieutenant.


Déjà appréciée en Pamina à Salzbourg (voir ici), Genia Kühmeier recueille, de façon incontestablement méritée, l’ovation la plus nourrie: son art du chant se déploie avec aisance, et même sans doute trop de puissance, avec un timbre tranchant voire perçant, même si la mise en scène tend il est vrai à donner l’image d’une Micaëla moins fragile qu’à l’ordinaire. S’il possède l’allure et la prestance d’Escamillo, le Néo-Zélandais Teddy Tahu Rhodes déçoit en revanche par une voix qui reste engorgée, manquant de projection. Parmi le reste de la distribution, François Lis en Zuniga et Alain Gabriel en Dancaïre s’imposent autant vocalement que dramatiquement.



Simon Corley

 

 

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