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Gluck erre dans les Enfers… Tourcoing Théâtre municipal 05/02/2007 - et les 4, 6* et 7 mai 2007. Christoph Willibald Gluck : Orfeo ed Euridice Philippe Jaroussky (Orfeo), Ingrid Perruche (Euridice), Olga Pitarch (Amore)
Dominique Mabileau (lumière et scénographie), Thierry Guénin (costumes), Maud Baron (coiffures, maquillage), Roser Monttlo Guberna et Brigitte Seth (mise en scène et chorégraphie)
La Grande Ecurie et la Chambre du Roy - Ensemble vocal de l‘Atelier Lyrique de Tourcoing, Jean-Claude Malgoire/Emmanuel Olivier* (direction)
Cette nouvelle production d’Orfeo ed Euridice était très attendue pour les débuts de Philippe Jaroussky dans le rôle d’Orphée. Mais ce spectacle ne remplit pas ses promesses à cause d’une mise en scène assez creuse et peu inspirée et surtout à cause d’une exécution musicale sans aucun relief.
La mise en scène de Roser Monttlo Guberna et Brigitte Seth est minimaliste: les chanteurs et les danseurs évoluent sur un fond bleu que seuls quelques légers changements d’éclairage viendront nuancer. Les metteurs en scène ont accordé une large place à la chorégraphie mais pas seulement lors des parties spécifiques de ballet. L’ouverture est, comme très souvent maintenant, illustrée par des danseuses qui tombent (mortes) dans les bras des danseurs. D’autres danses seront exécutées pendant l’opéra sans qu’elles aient une réelle portée dramatique ou explicative. La direction d’acteurs n’est pas très développée non plus et les personnages sont quelque peu livrés à eux-mêmes et adoptent une gestuelle conventionnelle. Les costumes sont assez rudimentaires: une teinte unie ou bien un haut d’une couleur et un bas d’une autre. L’orange domine pour le couple puisque Orphée porte un pantalon orange et une chemise beige tandis qu’Eurydice revêt une robe orange. En revanche les danseurs qui forment les ballets au deuxième acte sont habillés de jupes à crinoline avec des tissus de couleurs très vives.
Philippe Jaroussky était donc très attendu dans cette prise de rôle car il n’a pas beaucoup fait de scène pour le moment, se limitant à quelques Haendel et Vivaldi. Scéniquement il se montre assez à l’aise et arrive à faire passer une certaine émotion. Le contre-ténor a fait d’immenses progrès au niveau de la musicalité et sa voix s’est fortement corsée dans le medium, le grave étant encore à stabiliser et à nourrir. Mais a-t-il pour autant la voix d’Orphée? Il l’a dans la mesure où les Enfers ne peuvent pas résister - et comment résister d’ailleurs - à sa plainte: les demandes “furve, larve…” sont chantées avec une grande douleur. L’interprétation de Philippe Jaroussky est, pour le moment, assez inégale car le chanteur peut être sublime dans de tels morceaux mais également presque inaudible dans des passages plus vifs et qui demandent une voix plus puissante. On s’en tiendra donc à ces moments magiques et de pure beauté comme le fameux “Che faro senza Euridice” qu’il magnifie de son timbre solaire.
Ingrid Perruche est une Eurydice qui manque un peu de charme : la voix de la chanteuse est trop forte et manque de subtilité. Techniquement la chanteuse accuse toujours un vibrato important qui la gêne dans les passages plus doux. Dans l’air, certes de colère, « Che fiero momento », elle chante tout en force, en criant un peu les aigus. Elle n’est pas suffisamment charmeuse envers Orphée et on ne sent pas une véritable cohérence scénique, voire musicale, entre les deux chanteurs, si ce n’est dans le dernier duo où Philippe Jaroussky tente d’harmoniser les couleurs de son instrument avec celles de sa partenaire.
Olga Pitarch ne manque pas de piquant dans le rôle de l’Amour mais la voix n’est pas suffisamment sonore et projetée pour que l’on puisse apprécier totalement sa prestation. Son rôle se limite à un seul air au premier acte qu’elle chante avec une certaine grâce qui ne peut toutefois pas complètement masquer quelques problèmes de justesse dans les premières mesures. Mais l’ensemble reste honnête.
L’orchestre, en revanche, est très mauvais. Sans pour autant aller jusqu’aux tempi déchaînés de Marc Minkowski qui a signé un magnifique enregistrement d’Orphée il y a quelques années, Emmanuel Olivier, en remplacement de Jean-Claude Malgoire, aurait pu proposer un tempo un peu plus vif et un peu plus énergique. Dès l’ouverture, l’ennui gagne et ne s’effacera de toute la représentation. Où sont les accents gluckistes? où sont les furies des Enfers? L’orchestre manque sérieusement de nervosité et la lecture de l’opéra de Gluck est alors bien plate et incolore. A aucune moment le chef ne va souligner la douleur d’Orphée, l’allégresse des époux retrouvée, le piquant d’Amore… Jean-Claude Malgoire nous a habitué à beaucoup mieux!
Un rendez-vous manqué pourrait-on dire tant les éléments semblaient réunis pour faire une belle production à la distribution alléchante. Espérons que Philippe Jaroussky, en dépit de certaines maladresses vocales, reprendra ce rôle dans de meilleures conditions orchestrales et qu’il pourra développer son personnage.
Manon Ardouin
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