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Chostakovitch in memoriam Rostropovitch Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/27/2007 - Johann Sebastian Bach : Chaconne extraite de la Partita n° 2, BWV 1004
César Franck : Sonate pour violon et piano
Dimitri Chostakovitch : Sonate pour violon et piano, opus 134
Sergey Khachatryan (violon), Lusine Khachatryan (piano)
Le père est musicien, la fille pianiste, le fils (plus jeune) violoniste, et ils se lancent à la conquête de Paris: Leopold, Nannerl et Wolfgang? Non, car le père se prénomme Vladimir et les deux enfants respectivement Lusine et Sergey. Leur nom: Khachatryan – déjà connu, côté archet, grâce à un sans-faute d’une exceptionnelle précocité: premier prix de concours – Sibelius (2000), Reine Elisabeth (2005) –, concerts de qualité (voir par exemple ici) et discographie remarquée (voir ici). Et, pour son premier récital dans la capitale, la famille entre par la grande porte, au Théâtre des Champs-Elysées, dans le cadre de la saison des «Grands solistes» – déclinaison instrumentale des «Grandes voix» de Jean-Pierre Le Pavec et Frédérique Gerbelle – dont les autres vedettes ne sont autres que Capuçon, Korcia et Vengerov.
Si le programme paraît traditionnel dans son souci de présenter dans l’ordre chronologique des pages majeures appartenant à trois siècles successifs, il n’en faut pas moins toute l’audace de la jeunesse – vingt-deux ans – pour relever le défi consistant à commencer par la Chaconne finale de la Deuxième partita de Bach. Plus instinctif que rigoureux, Khachatryan n’ambitionne pas plus une éventuelle «authenticité» qu’une approche plus mystique, mais fait comme s’il interprétait une cadence de concerto ou l’hypothétique réduction pour violon seul d’une partition dont l’original aurait été… la transcription pour piano par Busoni. Extraordinairement rhapsodique et étirée (dix-huit minutes), cette vision évoque donc davantage une fantaisie à la subjectivité romantique qu’une chaconne baroque et pèche par défaut de construction, mais de futures étapes de sa carrière lui permettront sans nul doute d’aborder différemment ce répertoire.
La Sonate (1886) de Franck souffre, à un moindre degré, de cet étonnant parti pris de lenteur, comme si Khachatryan s’attachait ainsi à fournir des attestations d’une certaine image, trop superficielle, de la maturité. Douceur, élégance et nostalgie dominent, jusque dans le deuxième mouvement, moins rageur qu’à l’habitude, et dont le flux s’interrompt même pour laisser place à la méditation. Toutefois, avec cette façon de ne jamais laisser passer une occasion de ralentir, élan et fougue manquent trop souvent à une interprétation par ailleurs techniquement au-dessus de tout soupçon.
Avec la Sonate (1968) de Chostakovitch, Khachatryan n’a pas choisi la facilité, même s’il a démontré d’évidentes affinités avec le compositeur en enregistrant ses deux Concertos (voir ici) et si la passacaille conclusive vient comme une réponse à la Chaconne de Bach. En tout cas, c’est dans ces errances tour à tour sombres, ironiques et énigmatiques qu’il se révèle le plus convaincant et le plus stylistiquement incontestable, sans doute même enfin spontané dans l’Allegretto central, passant avec aisance de l’acidité grinçante au grand son expressif. Difficile de ne pas penser, dans ce style ultime de Chostakovitch, volontiers macabre et funèbre, à son ami et inspirateur Mstislav Rostropovitch, disparu le matin même.
Les bis prennent en revanche le public dans le sens du poil: Vocalise (1915) de Rachmaninov, «It ain’t necessarily so» extrait du deuxième acte de Porgy and Bess (1935) de Gershwin et, toujours arrangée par Heifetz, Danse du sabre tirée de Gayaneh (1942) de Khatchatourian, inévitable salut à l’Arménie natale, suscitant la non moins attendue standing ovation finale.
Simon Corley
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