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Louise, l'opéra de Paris

Paris
Opéra Bastille
03/27/2007 -  et le 30 mars, les 3, 6*, 9, 12, 15 & 19 avril
Gustave Charpentier : Louise
Mireille Delunsch (Louise), Jane Henschel (la Mère), Marie-Paule Dotti (Irma), Natacha Constantin (Camille), Paul Groves (Julien), José van Dam (le Père), Luca Lombardo (Un noctambule, le Pape des fous, le Marchand d’habits), René Schirrer (Un chiffonnier)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Sylvain Cambreling (direction)
André Engel (mise en scène)

Démodé, le « roman musical » de Charpentier, adaptation à l’opéra du réalisme naturaliste ? Voire. Il n’est pas si lointain le temps où les parents n’auraient pas laissé leur fille convoler avec un artiste dans le Paris de toutes les tentations. Certains passages du livret, si on les regarde bien, sont un hymne au plaisir libéré dont on n’a guère de raison de sourire aujourd’hui. En 1968, on aurait bien vu Louise disant à ses géniteurs médusés qu’il vaut mieux faire l’amour que la guerre. Quant à la musique, Charpentier a parfaitement digéré son Franck et son Wagner, en particulier les courbes sensuelles de leur harmonie, hissant sa Louise au niveau des plus belles réalisations de l’école française du tournant du vingtième siècle.
Cette sensualité, Sylvain Cambreling l’a perçue depuis longtemps – il a dirigé l’œuvre à la Monnaie il y a vingt ans, ce dont témoigne un beau live édité par Erato. Dès les premières mesures, l’orchestre chante, avec des couleurs raffinées, des ondoiements hédonistes. Mais si le chef réussit à merveille les tableaux intimistes comme le premier et le dernier, ailleurs sa direction languit, étirant les tempos, oubliant le théâtre, mettant parfois les chanteurs en difficulté – Mireille Delunsch est d’une prudence frileuse dans « Depuis le jour ». Comme s’il hésitait, victime de ses bonnes intentions, à s’abandonner à cette musique de peur de la rendre vulgaire – ce qu’elle n’est pourtant jamais, même dans le couronnement de la Muse. On a l’impression qu’il dirige une symphonie avec voix, sinon un oratorio : Louise peut légitimement rappeler les voluptés de Psyché, pas les extases des Béatitudes.
La distribution, dans l’ensemble, satisfait plutôt, d’autant plus que les seconds rôles, sans lesquels il n’est pas de Louise réussie, ont été distribués avec discernement, à commencer par le magnifique Noctambule de Luca Lombardo – qui a, assurément, l’étoffe de Julien. Mireille Delunsch est une très belle Louise, toute en frémissements amoureux, volontaire mais déchirée, malgré tout. La voix paraît plus ronde que naguère, sauf quand il faut tenir tête à un orchestre déchaîné, comme à la fin du duo du troisième acte ou dans la scène finale, où elle révèle de nouveau ses stridences et ses limites, faute d’être le grand lyrique réclamé par le rôle. Est-ce la conscience de ces faiblesses, la nécessité de se ménager qui empâte à ce point une articulation qu’on a connu parfois si exemplaire ? Paul Groves, également un peu léger, se tire beaucoup mieux d’affaire, grâce à un timbre lumineux et une émission haute qui, dès le lever du rideau, assure les redoutables aigus a cappella de « O cœur ami ! O cœur promis ». Bien qu’un peu emprunté scéniquement, le ténor américain se coule avec bonheur dans le moule du style français, s’interdisant tout écart dans l’expression, s’accordant donc parfaitement avec sa partenaire. Il faut attendre sa grande scène du troisième acte où elle vient chercher Louise pour que Jane Henschel convainque pleinement, alors que le premier acte a révélé un médium creux et un vibrato excessif. Là, l’orchestre étant plus discret, la chanteuse peut enfin montrer toutes ses qualités de diseuse et de tragédienne. José van Dam n’est guère en meilleur état – on frémit à l’idée de l’entendre bientôt en Germont – et a du mal parfois à passer la rampe ; mais on ne résiste pas à ce père qui sait mieux que tous les autres réunis ce que chanter français veut dire, pitoyable et attachant, sublime dans la Berceuse ou dans son espèce de délire final, toujours parfaitement contrôlé, qu’il joue avec un rare talent d’acteur. Et on finit par comprendre que ce soit lui qui, à l’applaudimètre, rafle la mise.
On sent qu’André Engel a de la tendresse, parfois amusée, pour ses personnages : pour les protagonistes, mais aussi pour ce petit peuple de Paris auquel Charpentier voulait donner un opéra qui fût vraiment le sien. Il a résisté à la double tentation de la reconstitution ou de l’actualisation : nous sommes dans les années trente, les élans libertaires sont aussi ceux des idéologies promettant des lendemains qui chantent ; le Couronnement de la Muse coïncide avec une fête patriotique où drapeaux rouges et drapeaux noirs flottent dans l’air, où l’on brandit les poings ; c’est dans la station de métro Montmartre que Paris s’éveille au début du deuxième acte et le couple, après s’être rencontré dans l’escalier de service d’un immeuble qu’on n’appelle pas encore HLM, s’aimera sur les toits – ce qui rappelle le Cardillac vu par le même André Engel. Très beaux décors, très belles lumières, très beaux costumes, avec un parti pris d’esthétisme qui fait des parents de Louise plutôt des petits employés que des ouvriers : Nicky Rieti, André Diot, Chantal de la Coste Messelière sont toujours là, fidèles partenaires du metteur en scène. Ce dernier dirige les chanteurs avec sa finesse coutumière, réussissant parfaitement les scènes d’intérieur, sans doute les plus difficiles, ratant seulement, il faut bien le dire, le tableau du métro, où il n’arrive pas à créer un véritable mouvement malgré des déplacements impeccablement réglés, peut-être justement à cause du décor choisi, privé de profondeur.
Après la Juive, Louise, qu’on avait toujours vue à l’Opéra-Comique – ou au Châtelet en 1981 -, nous est enfin rendue. Rapprochement passionnant, d’ailleurs : l’héroïne de Charpentier, face à un père tout aussi aimant et tout aussi dévorant, n’est-elle pas l’antithèse de celle de Halévy ? Attendons maintenant Ariane et Barbe-Bleue de Dukas la saison prochaine, qui s’achèvera avec la reprise de cette Louise qu’on retrouvera avec plaisir.



Didier van Moere

 

 

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