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Le Festival «Aspects des musiques d’aujourd’hui» (2) Normandie Caen 03/17/2007 - Petit auditorium
Henri Dutilleux : Ainsi la nuit
Jean Sibelius : Quatuor à cordes « Voces Intimae », opus 56
Eric Tanguy : Quatuor à cordes n° 2
Quatuor Diotima: Naaman Sluchin, Yun-Peng Zhao (violon), Franck Chevalier (alto), Pierre Morlet (violoncelle)
Grand auditorium
Ivo Malec : Arco-1 pour violoncelle solo
Horatiu Radulescu : Sonate pour piano n° 2
Eric Tanguy : Adagio pour cordes – Further pour flûte solo – Concertino pour 13 instruments
Pascal Dusapin : Etude pour piano n° 3
Olivier Peyrebrune (piano), Jean-Michel Douillard (hautbois), Yvon Quénéa (flûte), Raphaël Chrétien (violoncelle)
Orchestre de Caen, Jean-Louis Basset (direction)
Eglise Saint Pierre
Olivier Messiaen : Apparition de l’Eglise éternelle
Jehan Alain : Litanies – Choral dorien
Eric Tanguy : Du fond caché de la clarté pour chœur mixte – Méditation et célébration – Prière pour voix de femmes
Jacques Lenot : Mon royaume n’est pas de ce monde (version courte)
Maurice Duruflé : Prélude et fugue sur le nom d’Alain
Vincent Warnier : Improvisation sur un thème donné par Eric Tanguy
Vincent Warnier (orgue)
Chœur de chambre de Caen, Jean-Louis Barbier (direction)
La deuxième journée du festival débute par un chef d’œuvre : le quatuor Ainsi la nuit. Les Diotima, qui jouent régulièrement en Normandie (l’altiste a fait ses études au Conservatoire Caen), privilégient un climat hypnotique pour commencer. Ils savent adapter leur sonorité à l’écriture toujours changeante de Dutilleux, à son exploration systématique des possibilités du quatuor à cordes. Les harmoniques du premier violon sont lointaines, comme désincarnées dans le premier mouvement. Mais peu à peu l’atmosphère se fait plus agitée et les musiciens s’engagent dans l’écriture touffue et difficile de cette partition, faisant preuve d’une belle entente musicale.
Quelle drôle d’idée cependant de jouer le Quatuor de Sibelius après celui de Dutilleux. Après l’expressionnisme à fleur de peau du français, les confidences quasi romantiques du finlandais ont du mal à trouver leur place. Pourtant, on appréciera le jeu des quatre interprètes, le soin qu’ils apportent aux pianos, la fougue du Final, même si la sonorité du premier violon manque un peu d’ampleur dans les passages lyriques.
Pour le Deuxième quatuor d’Eric Tanguy, les deux violonistes ont échangé leur place. L’ensemble sonne avec plus de plénitude dans cette configuration et a donné une interprétation remarquable de l’œuvre. La progression du discours est bien gérée, le tempo échevelé du Final parfaitement assumé.
Dans le deuxième programme, Eric Tanguy rendait hommage à ses professeurs Ivo Malec (dont il a suivi les cours au CNSM de Paris) et Horatiu Radulescu (qui l’a invité à Darmstadt), ainsi qu’à Pascal Dusapin qui lui a tendu la main il y a plusieurs années en lui obtenant la commande d’Intrada. L’esthétique des deux premiers compositeurs, marquée par la musique spectrale, est très différente de celle de Tanguy, au risque de créer une certaine hétérogénéité. Raphaël Chrétien, professeur au Conservatoire de Caen, est un excellent violoncelliste, qui maîtrise la complicité extrême d’Arco-1, construite sur des recherches radicales de sonorités. La Deuxième sonate pour piano de Radulescu bénéficie de l’interprétation soignée d’Olivier Peyrebrune, également professeur au CNR de Caen, que l’on retrouve avec plaisir dans la Troisième étude de Dusapin, une pièce qui ne renie pas l’héritage de Debussy.
L’Adagio pour orchestre à cordes d’Eric Tanguy est une œuvre d’une mélancolie à fleur de peau, dans la lignée d’un Barber, à laquelle l’ensemble des huit instrumentistes de l’Orchestre de Caen donne une belle ampleur. Further est, selon le compositeur, «une musique que j’ai voulue bucolique, mystérieuse et dansante». Le flûtiste Yvon Quénéa en domine les difficultés, notamment les longs traits conclusifs, exigeants pour le souffle. Le Concertino pour hautbois, seule page concertante de Tanguy jouée ici, rappelle par son instrumentation légère, le Premier concerto pour flûte de Jolivet. Le hautboïste Jean-Michel Douillard a un très joli son qui convient parfaitement au climat détendu de la section initiale. L’orchestre, bien équilibré, est un excellent partenaire.
Le dernier concert de la journée, permet d’entendre différentes pièces pour orgue et pour chœur, dont une création, Du fond caché de la clarté, première pièce pour chœur mixte d’Eric Tanguy sur un texte d’Alain Duault, commande du festival. Bien que l’ensemble vocal ne soit pas irréprochable, ni sur le plan de la justesse, ni sur celui de l’articulation, on apprécie le travail du compositeur sur la matière vocale, l’hédonisme sonore, une certaine sensualité qu’il qualifie lui-même de «mystique». Les chanteurs se sont montrés plus à l’aise dans Prière, une courte page de 2003 d’une écriture plus simple, dont émane un charme indéniable.
L’organiste Vincent Warnier, vainqueur au concours international d’orgue de Chartres en 1992, propose un voyage à travers le répertoire d’orgue français du vingtième siècle. Le jeu de l’organiste est clair, les registrations soigneusement choisies mettent en valeur l’élément rythmique des Litanies de Jehan Alain, tout en cultivant le recueillement du Choral dorien. Les œuvres de Jacques Lenot et Maurice Duruflé sont plus ambitieuses et exploitent toutes deux les facultés d’un instrument qu’ils connaissent bien. Si le premier est redevable à Messiaen et le second plutôt à César Franck, ils imaginent tous deux de vastes constructions qui superposent les thèmes et les difficultés. Warnier est un grand connaisseur de ce répertoire, son discours suit une progression contrôlée que l’on retrouve dans l’improvisation qu’il offre pour terminer. Arrivé au terme de son récital, il nous fait partager son plaisir de jouer.
Thomas Herreng
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