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Improbable fin de semaine

Paris
Salle Cortot
03/24/2007 -  
Johann Sebastian Bach : Suite anglaise n° 6, BWV 811
Johannes Brahms : Sonate n° 3, opus 5
Serge Prokofiev : Sonate n° 6, opus 82

Olivier Reboul (piano)


Le mélomane parisien, comme tout un chacun, éprouve parfois un certain cafard, à l’image de cette première semaine de printemps qui l’aura mené de déception en déception: Maisky confondant Fauré et Brahms le mardi (voir ici), les Emerson retranchés sur leur Olympe beethovénien le mercredi (voir ici), Plasson mitigé le jeudi (voir ici), Pletnev en retrait le vendredi (voir ici). Et, par-dessus le marché, la pluie, persistante et tenace qui s’y met le samedi…


Heureusement, les circuits parallèles à ces grandes institutions musicales offrent de multiples consolations, certes plus ou moins substantielles: l’ombre de Dinu Lipatti (voir ici), le sourire de Leroy Anderson (voir ici), le peps de Sotto voce (voir ici) ou la force de Messiaen (voir ici). Et, en ce samedi soir, le salut est à nouveau venu de la merveilleuse Salle Cortot, où la trop discrète association «Piano con moto», fondée en 1989 autour de la pianiste et pédagogue Colette Zérah, présentait un improbable récital d’Olivier Reboul.


Improbable, car seul un petit noyau de passionnés s’est déplacé pour entendre ce programme aux exigences techniques et stylistiques titanesques, abordant en outre des répertoires dont les pianistes de nos contrées sont généralement peu friands. Improbable, car Olivier Reboul, s’il est visiblement reconnu et apprécié, tant comme chef de chant (pour des spectacles dirigés par Boulez, L. Foster, Campanella, Steinberg, Soustrot, Villaume, …) que, depuis 1994, comme chef d’orchestre, n’a visiblement rien fait, à deux jours de son quarante-quatrième anniversaire, pour mener une carrière soliste, ni même discographique: un choix que le public ne peut que regretter, tant ce concert aura révélé bien plus qu’un pianiste, un interprète à part entière.


Le constat est flagrant dès la Sixième suite anglaise (1720) de Bach, imperturbable mais pas inexpressive, avançant sans relâche mais sans précipitation: impeccable, d’une aisance apparente en même que d’une hauteur de vue qui ne réduit pas l’œuvre à des partis pris monolithiques (baroque ou romantique, détaché ou legato), sans pédale mais non sans couleur, clair mais sans sécheresse, éloquent sans excès de rhétorique, le jeu d’Olivier Reboul ne laisse pas de captiver par son assurance tranquille, sa vérité et sa musicalité. La faible amplitude des nuances dynamiques, visiblement délibérée, apparaîtra peut-être contestable, mais elle ne dénote pas dans une vision marquée par l’équilibre de l’articulation et le refus des artifices, qui parvient en même temps à ne pas perdre de vue le caractère de danse de certaines pièces (Gavottes, Gigue).


Pour aborder la redoutable Troisième sonate (1853) de Brahms, Reboul dispose de la carrure, de la puissance et de la sonorité requises. Mais il possède en outre une rare lucidité, une manière d’aller droit à l’essentiel du texte, qui confère toute son évidence au phrasé (Andante expressivo), sans pour autant négliger le caractère rhapsodique du propos, ni même la prise de risques, toujours parfaitement assumée, avec un Scherzo kreislérien et épique à souhait.


Compositeur après compositeur, la même question se pose: quel Français est actuellement capable de jouer Bach ou Brahms comme lui? Les candidats ne se bousculent pas, en tout cas, pas plus qu’en seconde partie, pour la Sixième sonate (1940) de Prokofiev: sans brutaliser le clavier, ce sont ici les sombres sarcasmes, renvoyant à la première période de Prokofiev, iconoclaste, «futuriste» et «barbare», qui sont mis en valeur (Allegro moderato). En revanche, dans l’Allegretto, la finesse des textures et l’humour suggèrent plutôt Roméo et Juliette, de même que les épanchements fermement tenus du Tempo di valzer lentissimo. Quant au Vivace final, il confirme que l’agilité et la précision d’Olivier Reboul ne pourront quasiment jamais être prises en défaut.


Colette Zérah vient elle-même le féliciter sur cette scène où elle sera amenée à clore, le 28 avril prochain, la «saison» de «Piano con moto» avec Mozart, Chopin, Chabrier et Ravel. D’ici là, cette soirée aura remis bien des pendules à l’heure quant à la valeur relative des artistes qui se produisent sur le «circuit»: rien de plus normal, sans doute, à la veille du passage à l’heure d’été.



Simon Corley

 

 

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