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La musique à la rencontre des mots

Paris
Théâtre des Bouffes du Nord
02/21/2007 -  et 22, 23, 24, 27, 28, 1er, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 13*, 14, 15, 16, 17 mars 2007
Le Pianiste

Robin Renucci (récitant), Mikhaïl Rudy/Nicolas Stavy* (piano)
Cécile Guillemot (mise en scène), Jean Barbazin (lumière)


Le Pianiste, c’est bien sûr un film (2002) de Roman Polanski, mais le scénario en a été adapté par Ronald Harwood à partir des souvenirs de Wladyslaw Szpilman (1911-2000): publiés en 1946 sous le titre Une ville meurt, censurés, puis interdits par les autorités soviétiques, ils ont été réédités en 1998 en Allemagne, par l’entremise de son fils Andrzej, sous le titre La Survie miraculeuse, puis en Angleterre sous le titre The Pianist. Robin Renucci a découvert ce témoignage avant même sa version française (2001) et une rencontre avec Mikhaïl Rudy a ensuite catalysé un projet: le premier a sélectionné et monté des extraits du livre, dans la traduction de Bernard Cohen, le second a choisi les musiques qu’il joue en alternance avec la lecture de ces pages.


Créé dès 2002 à Perpignan, le spectacle a beaucoup tourné depuis, mais, indépendamment de sa force et de sa qualité, son retour à Paris ne pouvait passer inaperçu: non seulement les Bouffes du Nord, où tout semble aboli – le temps, le lieu, la distance avec le public – offrent un cadre idéal à la musique et, plus spécialement, à cette narration, mais la dernière semaine de cette reprise aura fourni l’occasion de découvrir un autre protagoniste, Nicolas Stavy (né en 1975), qui remplace en effet Mikhaïl Rudy.


Comme pour «Feu sacré» avec Macha Méril et Jean-Marc Luisada (voir ici), Chopin sert de fil conducteur, à l’exception d’une courte pièce de Szpilman lui-même: en 1939, l’émetteur de la Radio polonaise a été détruit alors même qu’il y interprétait en direct un Nocturne – ici, c’est le Second de l’opus 27 qui ouvre et ferme la marche – et l’on sait que la «pratique», silencieuse mais quotidienne, de ses œuvres a contribué à soutenir Szpilman dans ses épreuves. Au-delà même de sa nationalité – la Troisième des Mazurkas de l’opus 63 ne tarde d’ailleurs pas à le rappeler – puisque l’action se situe à Varsovie, le compositeur a essentiellement laissé des pièces brèves – on entend ainsi quatre des Préludes de l’opus 28 – une caractéristique qui se révèle en l’espèce d’une grande commodité: non seulement il n’est nul besoin de les tronquer ou de les adapter, mais elles ne viennent pas interrompre trop longuement le fil du récit, rigoureusement chronologique (le ghetto, l’Umschlagplatz, les ruines, le sauvetage). Lorsqu’elles sont plus développées, notamment le premier mouvement de la Deuxième sonate, elles marquent en revanche une césure délibérée dans le propos, comme entre des chapitres. Outre la variété des climats qu’elle parvient à suggérer, la musique de Chopin, par sa rare combinaison de pudeur et d’éloquence, se présente surtout ici comme un intercesseur idéal entre le dit et le non-dit, à l’image de ce Nocturne en ut dièse (opus posthume) avec lequel Szpilman retrouve le clavier, après tant d’années, sous le regard de l’officier allemand qui le protège.


Nicolas Stavy n’affadit pas son jeu, viril sans excès, d’une belle couleur, très attentif à l’équilibre entre les plans sonores, mais n’hésitant pas à s’engager quand le moment le requiert. A l’unisson d’un auteur qui fuit tout pathos et même tout ressentiment, alors que l’horreur, l’inconcevable et l’insoutenable se succèdent, Renucci ne se départit jamais d’une parfaite sobriété dans cette description souvent quasiment clinique des faits. A l’unisson, la mise en scène de Cécile Guillemot s’en tient fort opportunément à une efficace économie de moyens: autour d’un fauteuil et d’un tabouret, devant le piano, gestes, regards, déplacements sont minutieusement soupesés, laissant ainsi aux magnifiques éclairages de Jean Barbazin un rôle encore plus essentiel.


Bien des périls guettaient un telle entreprise, mais elle ne donne jamais l’impression de sinuer entre les excès et l’ennui, évitant en même temps tout cloisonnement entre deux vecteurs d’expression qu’il semble pourtant fréquemment si malaisé de rapprocher: elle en réussit, une heure trois quarts durant, une association pleinement convaincante – plus qu’une superposition, généralement évitée – qui tient sans doute à ce que l’acteur et le pianiste ne demeurent pas chacun dans leur bulle, mais vont l’un à la rencontre de l’autre, comme le font les mots et les sons.



Simon Corley

 

 

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