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Rencontre au sommet! New York Metropolitan Opera House 02/19/2007 - et 23*, 27 février, 3, 6, 9 mars 2007 Giuseppe Verdi : Simon Boccanegra Thomas Hampson (Simon Boccanegra), Ferruccio Furlanetto (Fiesco), Angela Gheorghiu (Amelia), Marcello Giordani (Gabriele Adorno), Vassily Gerello (Paolo), Richard Bernstein (Pietro), Rosemary Nencheck (Suivante d’Amelia)
Michael Scott (décors et costumes), Wayne Chouinard (lumières), Gian Carlo del Monaco (mise en scène)
Orchestre et Chœur du Met, Fabio Luisi (direction)
Pour cette nouvelle reprise de Simon Boccanegra, le Met a réuni l’équipe qui avait déjà enflammé le Staatsoper de Vienne ces dernières années, à savoir le duo Ferruccio Furlanetto et Thomas Hampson : ces deux immenses artistes portent véritablement la représentation! Ils sont entourés de chanteurs qui ne déméritent pas et ils évoluent dans une mise en scène magnifique qui concourt également à rendre encore plus saisissant le drame qui se joue sur scène.
La mise en scène de Gian Carlo del Monaco est absolument somptueuse, dans la plus grande tradition du Met : reconstitution d’une salle du palais des Doges, costumes riches et superbes, détails dans les décors comme la fontaine au premier acte, … il signe une production très réaliste dans ses plus infimes détails (démantèlement d’une statue…), au point que le public a vraiment l’impression d’être au centre de l’action. La direction d’acteurs est, pour une fois, assez riche car les personnages se déplacent les uns par rapport aux autres comme dans la scène finale où Fiesco tourne autour de Simon agonisant.
La distribution est dominée par Thomas Hampson, Simon Boccanegra presque idéal. Il apporte une profonde humanité au personnage que ce soit dans le prologue, où il incarne un jeune homme à l’aube de sa gloire, ou bien dans les scènes avec sa fille (“Mia figlia” au premier acte), et même avec son ennemi, vingt-cinq ans plus tard: la voix a toutefois changé, les couleurs sont plus sombres, plus profondes. Sa chaleur lui permet d’apporter une élégance racée à son phrasé et donc à son rôle. Le passage le plus impressionnant est, sans conteste, l’air de la deuxième scène du premier acte “Plebe, Patrizi!” qu’il chante avec véhémence, colère pour se radoucir ensuite et utiliser ses notes intermédiaires si particulières. Ses gestes sont doux, il est totalement crédible surtout au moment de sa mort, où il se retire peu à peu près de son trône, laissant les autres personnages à leur joie.
Ferruccio Furlanetto est, comme toujours, excellent. Sa voix est d’une homogénéité remarquable et le vibrato dont il souffrait il y a quelque temps semble s’être atténué. L’instrument vocal est somptueux, le timbre n’a rien perdu de sa rondeur et il est toujours aussi particulier. Le chanteur insiste bien sur l‘ambiguïté entre le père en colère de voir sa fille perdue et le père fou de douleur devant cette situation. Même quand il essaie de se montrer méchant envers Simon, il garde toujours en lui une part d’humanité: par exemple il apporte des nuances douces à des termes comme “pietoso” dans le prologue. Furlanetto possède un art consommé de la scène et un seul geste lui permet d’exprimer beaucoup et de souligner ce qu’il raconte: dans le prologue, il joue furieusement avec son manteau tandis que Simon fait son récit. Mais c’est surtout à la fin de l’opéra qu’il est le plus admirable. Simon meurt progressivement sous l’effet du poison, Fiesco le regarde avec méchanceté s’éteindre et il se rapproche peu à peu du trône pour s’y asseoir tout à fait lors de la mort de son ennemi: tout est bien calculé, contrôlé et même sans chanter, il parvient à transmettre parfaitement un message dramatique. Du grand art, du très grand Art!
Marcello Giordani est très présent cette saison au Met et le sera beaucoup dans les années à venir. Après avoir connu quelques problèmes ces derniers temps, le ténor revient plus en forme que jamais! La générosité et la vaillance de son chant sont toujours à saluer: aigus francs et sonores, puissance vocale, timbre clair mais corsé, etc… Scéniquement son jeu est un peu plus terne: son personnage possède un caractère entier qui lui permet de changer du tout au tout ses convictions les plus profondes, comme le montre la fin du deuxième acte. Par un chant parfois un peu uniforme, il souligne bien le côté simple du jeune homme. Marcello Giordani est particulièrement à l’aise dans l‘air “Sento avvampar nell’anima”: il se jette à corps perdu dans la musique et la facilité de son chant occulte un peu la douleur du personnage.
Angela Gheorghiu est un peu plus réservée que d’habitude et elle joue un peu moins à la diva. Vocalement, sa prestation est un peu décevante, du moins au début de la soirée. La voix ne possède pas un fort volume et les aigus, à part quelques-uns, sont sourds et peu brillants. On peine également à comprendre le moindre mot italien car la soprano change parfois les voyelles pour embellir sa voix et se sentir plus confortable dans certaines notes. Son air d’entrée est un peu laborieux et elle n’incarne pas vraiment une fraîche jeune fille: la voix est trop lourde, son chant est déjà trop décidé, etc… Toutefois, cette idée de faire d’Amelia une femme prête à combattre tout le monde se justifie nettement plus dans la suite de l’opéra, où la chanteuse peut sortir les griffes pour sauver et son père et son fiancé. Et sa voix plus corsée fait alors merveille ! La chanteuse commence à devenir touchante à partir du duo avec Gabriele au premier acte: elle use et abuse de notes douces et tenues sur des crescendos et des decrescendos. Mais elle se révèle véritablement dans le deuxième acte, quand elle doit sauver sa vie.
Le rôle de Paolo est correctement tenu par Vassily Gerello : il n’apporte pas forcément une interprétation originale mais il a le mérite de tenter d’investir son personnage et de lui donner du relief. Il campe avec conviction le rôle d’un traître dans le début du deuxième acte. La voix est assez monochrome et il faut bien admettre qu’il souffre de la comparaison avec le reste de la distribution. Les rôles plus secondaires sont solides à commencer par Richard Bernstein qui incarne un Pietro bien expressif, à la voix puissante et bien placée. Rosemary Nencheck est également très correcte dans le rôle éphémère de la suivante d’Amelia.
L’autre grand triomphateur de la soirée est Fabio Luisi. Ce chef, au départ spécialisé dans le baroque, s’est peu à peu forgé une bonne réputation dans le répertoire lyrique et pour cause. Sa direction est très inspirée, elle a de la tenue et le chef raconte véritablement une histoire: il souligne les divers sentiments ressentis par les personnages, etc… Il fait preuve de beaux élans lyriques dans le prologue, notamment, où il tire ce qu’il y a de mieux dans cette œuvre, parfois un peu longue: son introduction du premier acte en devient presque effrayante. Il arrive à maintenir la tension pendant toute la soirée grâce à une grande force dramatique et il est aidé en cela par un pupitre de violons particulièrement bon et musical.
Une soirée comme on les aime au Met! Des chanteurs exceptionnels, une mise en scène qui ne gâche pas la musique, un public qui réagit et qui fait des triomphes… Une soirée qui restera dans les mémoires pour des duos explosifs entre Thomas Hampson et Ferrucio Furlanetto, pour les griffes d’Angela Gheorghiu, pour le chant passionné et généreux de Marcello Giordani…
A noter :
- Ferrucio Furlanetto et Thomas Hampson s’opposeront de nouveau dans Ernani au Met en mars-avril 2008.
- La production existe en DCD, captée en 1995 avec une distribution non moins alléchante: Placido Domingo, Kiri te Kanawa, Vladimir Chernov et James Levine à la baguette.
Manon Ardouin
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