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Solution de remplacement Paris Théâtre des Champs-Elysées 02/15/2007 - Robert Schumann : Ouverture de «Manfred», opus 115 – Concerto pour violon – Symphonie n° 3 «Rhénane», opus 97
Leonidas Kavakos (violon)
Orchestre national de France, Kurt Masur (direction)
Radio France, dans le cadre de ses concerts gratuits «Déclic» consacrée aux lauréats des concours internationaux, accueillait le Quatuor Voce, qui, formé en 2004 par des étudiants du Conservatoire national de région (CNR) de Paris, n’a pas tardé à inscrire à son actif un troisième prix au Concours de Crémone (octobre 2005) puis un deuxième prix au Concours de Genève (octobre 2006), au cours duquel le premier prix n’avait pas été attribué. On se réjouissait d’autant plus de pouvoir entendre ce jeune ensemble – vingt-six ans de moyenne d’âge – qu’il avait choisi un programme aussi magnifique qu’ambitieux, associant le Soixante-dix-huitième quatuor «Lever de soleil» de Haydn au Quatorzième quatuor de Beethoven. Cependant – on l’aura sans doute déjà compris – ce n’est hélas pas du Quatuor Voce, déjà remarqué voici moins d’un an à Mogador (voir ici), qu’il sera ici question, car une erreur de transmission n’a pas permis à ConcertoNet d’assister à sa prestation.
Tant pis pour le Quatuor Voce. Exeunt aussi Haydn et Beethoven. Mais l’erreur est humaine. Et l’on aura sans nul doute l’occasion de réentendre prochainement ce quatuor ainsi que, bien évidemment, ces œuvres. A quoi bon pester plus longtemps puisque la douceur exceptionnelle de cette journée de février invite à la clémence? Et elle rend donc on ne peut plus aisé – puisqu’il en est encore temps, par quelque moyen que ce soit – de se rendre au Théâtre des Champs-Elysées, à quelques encablures de là en remontant la Seine vers l’amont, à d’autres festivités proposées par Radio France, à savoir le troisième des quatre volets du cycle Schumann donné par l’Orchestre national du France et son directeur musical, Kurt Masur.
L’intérêt pour cette solution de remplacement tient d’abord à l’affiche: une splendide ouverture (celle de Manfred), une partition que l’on attend depuis si longtemps de pouvoir enfin comprendre (le Concerto pour violon) et enfin une symphonie (la Troisième) avec laquelle on a tant envie de se réconcilier après une expérience assez piteuse, une semaine plus tôt, sous la direction de Gilbert Varga (voir ici). L’intérêt est en outre aiguisé par le souvenir de la soirée inaugurale de cette série du National (voir ici): une ouverture (de Genoveva) un peu en retrait, un concerto (pour piano) certes décevant, mais une (Première) symphonie augurant bien de la suite.
Et c’est exactement le même schéma qui s’est reproduit au cours de cette troisième soirée. Kurt Masur, dans un entretien qu’il accorde à Christian Wasselin à la fin du livret fort complet distribué aux spectateurs, oppose Mendelssohn, «un classique qui se souvient de Mozart et de Bach», à Schumann, «[incarnant] le début de la grande ère romantique». Pourtant, l’Ouverture de Manfred (1851), plus classique que romantique, manque ici de la langueur, de l’incandescence, de la passion, du désordre et de la folie que semble appeler la thématique (l’inceste, la mort) du poème de Byron.
La folie, justement, guette Schumann de très près lorsqu’à l’automne 1853, il destine au jeune Joseph Joachim coup sur coup deux pièces virtuoses pour le violon: une Fantaisie (son opus 131) et un Concerto. Si la première fut immédiatement publiée, le second, que son dédicataire considérait de qualité inégale et de nature à entacher ainsi l’image de l’auteur, dut attendre… 1938. Nonobstant ce jugement, et sans remonter à sa création par Georg Kulenkampff, des musiciens tels que Gidon Kremer ou David Grimal ont eu à cœur de le défendre et la notice de présentation de Christian Wasselin, qui va jusqu’à considérer que le Concerto pour violoncelle est «plus sage», constitue un vigoureux plaidoyer en sa faveur.
De vigueur, Leonidas Kavakos n’en manque pas non plus, ainsi que de puissance et de bravoure – il le démontre également dans son bis, le dernier mouvement (Les Furies) de la Deuxième sonate «Obsession» (1923) d’Ysaÿe – mais, même si le fait qu’il s’agisse des moments ultimes de lucidité du compositeur possède nécessairement quelque chose de poignant, on avouera malheureusement n’avoir toujours pas été convaincu de ce que ce Concerto pour violon puisse être placé sur le même plan que ceux pour piano ou violoncelle. Le violoniste grec, qui le joue régulièrement (voir par exemple ici), s’en fait un avocat aussi éloquent que possible en s’attachant manifestement, davantage que Kremer ou Grimal, plus «crépusculaires», à mettre en valeur le premier degré de ces pages, c’est-à-dire leur visée brillante. Mais, bien que l’accompagnement suive avec la même conviction, ces vingt-sept minutes paraissent souvent bien longues, hormis la chaleur et la délicatesse du trop bref Langsam.
Six mois plus tard, Schumann se jette dans le Rhin, qu’il avait célébré quatre ans plus tôt dans sa Troisième symphonie «Rhénane» (1850). Sans surprise, Masur, prenant appui sur la sonorité d’une formation française qui n’a rien à voir avec celle du Gewandhaus de Leipzig dont il fut le chef durant plus d’un quart de siècle, continue à alléger et à éclaircir les textures, même si l’ensemble conserve une certaine rondeur: une transparence qui l’apparente à Szell ou à Paray davantage qu’à Furtwängler, Bernstein ou même Sawallisch. Et si, dans l’entretien susmentionné, il se défend d’avoir lui-même modifié l’orchestration ou recouru aux «améliorations» apportées par Mahler ou Chostakovitch, on observe toutefois que Didier Benetti recourt à trois – et non à deux – timbales dans certains mouvements, solution pleinement justifiée compte tenu de la façon dont sa partie est écrite, mais qui conduit à s’interroger sur d’éventuels autres aménagements ponctuels.
En contraste avec le mi bémol mineur de Manfred, Masur fait retentir avec vivacité et énergie le mi bémol majeur du Lehbaft initial, dont il omet la reprise. Radieux, plus joyeux que paisible, le deuxième mouvement retrouve un caractère de Scherzo qui n’est souvent pas autant mis en avant. Dans le même esprit, le Nicht schnell tient d’un tendre intermezzo et non d’un mouvement lent. Il n’en contraste que davantage avec le quatrième mouvement: solennel comme il se doit – il est marqué Feierlich – mais jamais pompeux, il ne s’en révèle pas moins intimidant, plongeant profondément ses racines dans la musique ancienne. Le Lebhaft final renoue avec un enthousiasme sans superficialité. Un peu clairsemé, le public réserve un accueil chaleureux à cette vision dont la juvénilité balaie sur son passage les quelques réserves que l’on pourrait émettre sur les couleurs ou la précision de l’orchestre.
Le site du Quatuor Voce
Simon Corley
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