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Puccini sur la Neva

Baden-Baden
Festspielhaus
01/15/2007 -  

Giacomo Puccini : Madame Butterfly

Natalia Timchenko (Cio-Cio-San), Liubov Sokolova (Suzuki), Akhmed Agadi (Pinkerton), Alexander Gergalov (Sharpless), Andrei Zorin (Goro), Evgeny Ulanov (Yamadori), Alexander Nikitin (le Bonze), Mariusz Trelinski (mise en scène), Boris Kudlicka (décors), Magdalena Teslawska et Pawel Grabarczyk (costumes), Stanislaw Zieba (éclairages), Valery Gergiev (direction)
15 et 16* janvier

Giacomo Puccini : Turandot

Irina Gordei (Turandot), Fabio Armiliato (Calaf), Olga Kondina (Liu), Gennady Bezzubenkov (Timur), Viktor Vikhrov (Altoum), Andrei Spekhov (Ping), Alexander Timchenko (Pang), Andrei Ilyushnikov (Pong), Eden Umerov (un Mandarin), Charles Roubaud (mise en scène), Isabelle Partiot-Pieri (décors), Katia Duflot (costumes), Vladimir Lukasevich (éclairages), Valery Gergiev (direction)
17* et 19 janvier

Giacomo Puccini : La Bohème

Akhmed Agadi (Rodolfo), Ekaterina Solovieva (Mimi), Vasily Gerello (Marcello), Olga Trifonova (Musette), Eduard Tsanga (Colline), Andrei Spekhov (Schaunard), Ian Judge (mise en scène), Tim Goodchild (décors et costumes), Nigel Levings (éclairages), Valery Gergiev (direction)
20 et 21* janvier

La presse allemande rend volontiers compte avec une relative ironie des productions présentées par le Théâtre Mariinsky pendant ses séjours à Baden-Baden. L’aspect conventionnel voire vieillot de ces mises en scène est souvent stigmatisé, en des termes d’une condescendance plus ou moins dédaigneuse selon le degré d’implication du rédacteur dans le lobby du «Regietheater», système de relecture scénique systématique qui s’impose de plus en plus en Allemagne comme seul étalon de jugement intellectuellement correct en matière d’opéra.


En revanche, du côté du public qui paye sa place, il est vraisemblable que ce soit précisément cette sagesse des productions du Mariinsky qui contribue en partie au remplissage du Festspielhaus de Baden-Baden. Après tout, par les temps qui courent, et tout particulièrement en Allemagne, pouvoir emmener à l’opéra ses jeunes enfants poseurs de questions voire sa grand-mère fragile du cœur en évitant de passer une soirée nerveusement épuisante peut passer pour un bonheur rare. Et tant que le Mariinsky continuera à opter pour des scénographies sans audace (ou du moins à ne pas exporter les rares spectacles plus provocants entrés récemment à son répertoire), il tirera profit de cette aura de théâtre sans surprise ni scandale, peu glorieusement peut-être, mais efficacement.


Restons justes cependant : Valery Gergiev et sa troupe se produisent souvent à Baden-Baden depuis huit ans, et les progrès que l’on a pu constater sur le plateau ont été réguliers. Aujourd’hui les mises en scène du Mariinsky se sont hissées à un niveau de finition comparable à celui de n’importe quel autre théâtre de répertoire occidental les soirs de bonne routine, de Londres à Munich ou Vienne. L’époque des toiles peintes qui pendent de travers et des costumes interchangeables d’un opéra à l’autre est révolue. Le Mariinsky ne présente plus aujourd’hui que de véritables productions, au sens moderne du terme, pour lesquelles il engage de bons metteurs en scène et décorateurs du circuit international. Reste le problème de l’état de conservation de ces spectacles, qui semblent très vite émousser leur mise au point, victimes d’une sorte de laisser-aller général qui conduit rapidement à ne plus retenir que les grandes lignes du projet initial (Valery Gergiev lui-même est semble-t-il très réputé pour les remaniements qu’il s’autorise dans les mises en scène, une fois le concepteur initial reparti).


Les productions présentées au cours de ce cycle Puccini hivernal (jouées chacune deux fois, et toutes sous le direction de Valery Gergiev, ce qui équivaut pour ce dernier à six soirées sur sept d’une même semaine passées dans la fosse du Festspielhaus) ont toutes en commun un petit air déglingué et relâché, voire des éclairages à l’emporte-pièce (la brutalité des effets de lumière reste la grande faiblesse des spectacles du Mariinsky, comme si l’éclairagiste était placé devant une simple rangée d’interrupteurs, et non un véritable pupitre moderne) : une sorte de propension générale au moindre effort, qui rend ces productions difficiles à dater. Quelles âge ont-elles réellement ? Un an ? Trois ? Dix ? En fait, elles sont… sans âge, ce qui est a priori tout sauf un compliment. Et pourtant les maîtres d’œuvre initiaux avaient semble-t-il tous quelque chose d’intéressant à proposer, même dans le cadre d’une approche conventionnelle.


Des trois soirée, c’est malheureusement l’œuvre de l’équipe française menée par Charles Roubaud qui semble la plus terne. Cette production de Turandot ressemble beaucoup à celle proposée par les mêmes à Orange, puis encore tout récemment à Marseille. Mais une fois passée à la moulinette quotidienne du Mariinsky, il n’en subsiste que quelques beaux mouvements de foule bien coordonnés. De jeu individuel il n’est plus guère question, les seuls gestes qui impressionnent encore l’œil restant les maladresses parfois terribles de certains solistes (Turandot trop serrée dans sa robe et qui n’arrête pas de se rajuster…). On apprécie l’ambiance chinoise stylisée, mais que la monotonie des éclairages cantonne dans une déprimante grisaille, sur laquelle ne tranchent que des couleurs criardes. Bref, un environnement sans charme, qu’une équipe de très bons chanteurs suffirait cependant à faire accepter sans broncher. Mais hélas, ce soir-là, ce n’est presque jamais le cas. La Turandot d’Irina Gordei possède toutes les notes de son rôle mais sa voix reste celle d’un soprano dramatique très central, à l’aigu rarement aisé. Et puis sa prononciation italienne est pâteuse (c’est d’ailleurs là le vrai gros problème de plupart des solistes programmés au cours de ces soirées). Olga Kondina a peut-être chanté Liu joliment, mais il y a quelques années déjà, quant à sa présence physique, engoncée dans un pyjama de soie informe, elle est d’une totale inconsistance. Les ministres et les seconds plans sont tous corrects, mais le Timur de Gennady Bezzubenkov paraît constamment dépassé. En matière de beau chant il faut donc se rabattre sur Fabio Armiliato, très bon ténor qui négocie admirablement sa quinte aiguë (et qui, lui au moins, chante dans un vrai et bel italien), mais dont la puissance reste trop limitée face à un orchestre et des chœurs qui ne font pas dans la dentelle.


Madame Butterfly, dirigée par le metteur en scène de cinéma polonais Mariusz Trelinski, se révèle plus originale, tentant avec succès de sortir de l’habituelle ambiance japonisante à base de cerisiers en fleur et d’écrans de papier. Les perspectives ouvertes sur un vaste espace brillant figurant une mer dégagée sont belles. À l’avant-scène un praticable en bois, qui évoque davantage une scène de théâtre Nô posée sur l’eau qu’une habitation de Nagasaki, permet d’intéressants effets de contre-jour sur les silhouettes des chanteurs. Quant à la recherche de couleur locale, elle s’appuie sur un japon bouddhique plus archaïque et prenant que l’imagerie d’estampes du XIXe siècle qu’on lui superpose trop volontiers. Reste le problème d’éclairages là encore trop schématiques (le terrible pleins feux rouge sombre qui écrase l’entrée de Cio-Cio-San), de certaines couleurs (l’ensemble des kimonos de l’Acte I, uniformément unis et violets, véritable contresens esthétique), voire d’une direction d’acteurs qui recherche une certaine stylisation (attitudes longuement réexposées, façon vaguement Bob Wilson) mais qui tombe à plat dès qu’une gestique de routine vient la parasiter. L’intégration constante dans l’action de trois danseurs masculins, plutôt osée dans un ouvrage aussi réaliste, est en revanche réussie. La distribution, moyenne, parvient néanmoins à installer au fil des actes une véritable émotion : Natalia Timchenko, timbre un peu métallique mais bonne présence de soprano lyrique, Akhmed Agadi, ténor intéressant embarrassé de multiples défauts techniques, Sharpless sans reproche d’Alexander Gergalov, et malheureusement (car le rôle est plus important qu’il n’y paraît) une Suzuki éteinte. Apparition incongrue du Bonze d’Alexander Nikitin, suspendu dans une nacelle ridicule, et que l’on entend à peine (ce qui intrigue, s’agissant quand même d’un baryton/basse que Gergiev programme volontiers dans des emplois lourds).


La Bohème du team britannique Ian Judge/Tim Goodchild est une production classique qui fonctionne bien, en particulier grâce à un décor habilement scindé en éléments différenciés qui peuvent persister d’un acte à l’autre, quelques superstructures en plus ou en moins suffisant à changer complètement l’environnement. Une équipe de chanteurs jeunes et crédibles s’y investit sans retenue, la tension monte petit à petit, et on ne reste pas l’œil sec à la fin, ce qui signe en principe une Bohème réussie. Seul gros défaut, mais qui n’entache qu’un seul acte : la raideur des chœurs et de la figuration du Café Momus, présence scénique à l’emporte-pièce qui ruine l’ambiance. Après quelques phrases hasardeuses la jolie Mimi d’Ekaterina Solovieva prend de l’assurance et s’épanouit, et même le Rodolfo d’Akhmed Agadi parvient à mieux imposer un chant glorieux, moins gâché que dans le rôle de Pinkerton par une curieuse tendance du medium à perdre de son éclat. Marcello routinier, correct, de Vassily Gerello (un chanteur que l’on n’a jamais connu vraiment captivant), parfaite Musetta d’Olga Trifonova, très bon Colline d’Eduard Tsanga (pourquoi ne pas l’avoir distribué dans Timur quelques soirs plus tôt ?) : une distribution cohérente, que Valery Gergiev soutient constamment, emportant tout l’orchestre dans de merveilleuses vagues de lyrisme puccinien.


Il est vrai qu’on peut rarement l’oublier, cette fosse, tant elle s’impose de bout en bout. Gergiev différencie beaucoup les ambiances : presque chambriste dans Butterfly, grand spectacle en cinémascope (mais avec les vrais moyens de ne pas s’y noyer) pour Turandot, et enfin un engagement constamment émouvant dans la Bohème (avec malheureusement une trompette tellement généreuse qu’elle nuit un peu à la qualité d’ambiance du Soave fianciulla de Rodolfo, voire des toutes dernières mesures de l’oeuvre). Plus que jamais la «formation A» du Mariinsky s’affirme comme une orchestre de rêve, d’une étonnante plénitude de son et dont aucun pupitre ne semble s’accorder le moindre droit à l’erreur. Dès lors Valery Gergiev peut diriger en ne s’investissant pas davantage physiquement que le strict nécessaire pour tenir la distance, et recueillir au rideau final des ovations aussi bruyantes que méritées. Bilan largement positif, donc, pour ce Festival d’hiver tout entier à l’heure de Saint-Pétersbourg, même si l’on a déjà connu à Baden-Baden des aspects du Mariinsky plus brillants.



Laurent Barthel

 

 

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