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Les mille temps de la valse

Paris
Cité de la musique
12/12/2006 -  et 15 décembre 2006 (Le Havre)
Johann Sebastian Bach : Menuet extrait de la Suite pour orchestre n° 2, BWV 1067 n° 5
Wolfgang Amadeus Mozart : Menuet extrait de la Sérénade n° 13 «Eine kleine Nachtmusik», K. 525
Joseph Haydn : Menuet extrait du Quatuor n° 77 «Kaiserquartett», opus 76 n° 3
Franz Schubert : Seize Danses allemandes, D. 783 (arrangement Franz Burkhart)
Johannes Brahms : Liebesliederwalzer, opus 52 (arrangement Friedrich Hermann)
Johann Strauss : Kaiser-Walzer, opus 437 (arrangement Arnold Schönberg)
Richard Strauss : Suite de valses du «Rosenkavalier» (arrangement Richard Dubugnon)
Arnold Schönberg : Verklärte Nacht, opus 4
Maurice Ravel : La Valse (arrangement Yann Ollivo)

Les Dissonances, David Grimal (direction artistique)


Les fêtes de fin d’année approchent et les organisateurs ne manquent pas de sortir les équivalents musicaux des traditionnels sapins, guirlandes lumineuses et autres boîtes de douceurs: l’Oratorio de Noël à Pleyel puis aux Champs-Elysées, L’Amour des trois orangesà Bastille, Candide au Châtelet, tout cela fleure bon le réveillon. Avec un cycle baptisé «Migrations de la valse» présenté d’ici le 22 décembre sous une couleur «rose Châtelet», la Cité de la musique allait-elle alimenter à son tour, en anticipant sur le Concert du Nouvel An, les «marronniers» de saison? Les programmateurs de la porte de Pantin ne sont cependant pas tombés dans le piège: une fois de plus, ils n’ont oublié ni leur mission pédagogique, proposant un forum ainsi qu’un spectacle jeune public, ni leur proximité du Musée de la musique, trois des neuf concerts permettant de découvrir quelques-uns des pianofortes et pianos de la collection de Fernanda Giulini, ni leur principe désormais bien connu, consistant à offrir un large éventail de styles, jusqu’à l’Orchestre national de jazz et à un bal populaire avec «Yvette Horner et ses musiciens».


L’ouverture de ce cycle était confiée à un orchestre qui donnait ici son premier grand concert parisien. Un orchestre qui souhaite fédérer des musiciens autour de choix artistiques qu’ils définissent collectivement, mais ce n’est pas «Les Siècles» de François-Xavier Roth. Un orchestre qui, produit par Instant pluriel, entend explorer un vaste répertoire, du baroque à nos jours, mais ce n’est pas non plus de «La Chambre philharmonique» d’Emmanuel Krivine qu’il s’agit. Un orchestre qui joue sans chef, mais – encore perdu – ce n’est pas Orpheus. David Grimal, en fondant voici un peu plus d’un an «Les Dissonances», s’est indéniablement inscrit dans l’air du temps, celui qui privilégie de petites structures tentant de renouveler la manière dont la musique dite «classique» est abordée, grâce à des participants aussi fortement motivés que travaillant dans un esprit plus libre et moins routinier.


Le violoniste français a donc rassemblé autour de lui des personnalités appartenant à de grandes phalanges françaises – Opéra national de Paris (la flûtiste Sabrina Maaroufi, le hautboïste Olivier Doise, le bassoniste Laurent Lefèvre, le corniste Vladimir Dubois), Orchestre de Paris (le violoniste Fabien Boudot, l’altiste solo David Gaillard, le contrebassiste Stanislas Kuchinski), Philharmonique de Radio France (les violonistes Virginie Buscail et Lyodoh Kaneko, le timbalier Adrien Perruchon), National d’Ile-de-France (le contrebassiste Pierre Maindive), Opéra national de Lyon (le premier violon solo Nicolas Gourbeix) – et étrangères – Orchestre de chambre Mahler (le clarinettiste Romain Guyot), Symphonique de Bâle (le premier violon solo Axel Schacher). S’y joignent des chambristes aux impressionnants états de service – Ayako Tanaka, premier violon du Quatuor Psophos, Krzysztof Chorzelski et Antoine Lederlin, respectivement altiste et violoncelliste du Quatuor Belcea, ou bien l’altiste Jean-Paul Minali-Bella (ancien du Quatuor Arpeggione) et le violoncelliste François Salque (ex-Ysaÿe) – mais aussi des étoiles montantes (les violonistes Jin-Hi Paik et Amaury Coeytaux, le violoncelliste Jérôme Fruchart) et même, pour l’occasion, le contrebassiste et compositeur Richard Dubugnon au (grand) triangle et à la cymbale!


Sur le papier, une telle association de talents semble pour le moins prometteuse. Faut-il toutefois s’en tenir là? Ce serait bien sûr oublier que pour former un tout cohérent et convaincant, il ne suffit pas d’une juxtaposition d’individualités, mais d’une communion autour d’un projet humain et esthétique. Nul doute qu’une ambition de polyvalence et une organisation à géométrie variable contribuent au succès de cette entreprise, comme l’a démontré le programme de cette soirée: du quatuor à l’effectif complet (vingt-six musiciens) via le sextuor et l’orchestre à cordes, chaque membre est ainsi amené à jouer un rôle différent, tour à tour «musicien du rang», chambriste ou même éventuellement soliste, moyennant hélas d’assez longs et fréquents changements de plateau.


Son propos didactique, bien qu’intelligemment illustré par les notes de Marianne Frippiat, aurait sans doute gagné à un commentaire oral, au besoin par David Grimal lui-même, permettant de mieux faire ressortir les lignes de force d’une sélection dont il est inévitablement aisé de pointer les lacunes ou les faiblesses, en particulier la forte proportion d’arrangements de partitions originellement destinées à diverses formations, mais dont le déroulement chronologique décrit avec pertinence l’histoire de la valse, de sa naissance à sa «transfiguration». La continuité de cette progression était malheureusement interrompue par La Nuit transfigurée de Schönberg, chef-d’œuvre incontesté, mais qui n’a absolument rien à voir avec la valse. Ou serait-ce parce que, couplée avec les Métamorphoses de Strauss, elle figure sur le premier disque des Dissonances, à paraître prochainement chez Ambroisie?


Le public n’a pas répondu massivement à cette invitation au voyage dans le(s) temps (de la valse): la concurrence était certes forte – avec notamment William Christie et ses «Arts Flo», Hervé Niquet et son Concert spirituel ainsi que des récitals de Felicity Lott et Sumi Jo – mais cette salle à peine remplie aux deux tiers vient précisément à l’appui des interrogations que soulèvent la construction et l’amélioration prochaines de plusieurs lieux de grande envergure dans la capitale.


Les menuets extraits de la Deuxième suite pour orchestre (1739) de Bach, de la Treizième sérénade «Une petite musique de nuit» (1787) de Mozart et du Soixante-dix-septième quatuor «L’Empereur» (1797) de Haydn défilent rapidement: un Bach qui nous ramène au temps, au fond pas si déplaisant, de Jean-François Paillard, un Mozart précipité et un Haydn raide, mais qui traduisent déjà l’influence du ländler populaire sur cette danse à connotation aristocratique. Avec les seize Danses allemandes (1824) de Schubert dans un arrangement de Franz Burkhart (1902-1978), la transition est parfaitement perceptible: les robustes trois temps populaires alternent en effet avec des pièces raffinées qu’un Chopin, quelques années plus tard, n’aurait pas reniées.


Egalement écrit pour cordes seules, l’arrangement par Friedrich Hermann (1828-1907) d’une autre «chaîne de valses», les Liebesliederwalzer (1869), confirme la remarquable cohésion de l’ensemble et rendent tout spécialement justice aux pages d’inspiration hongroise si fréquentes sous la plume de Brahms. Pas de valse sans les Strauss, y compris Richard. D’abord la réduction pour sept instruments réalisée par Schönberg (1923) de la Valse de l’Empereur (1889): faute d’avancer légèrement le deuxième temps, l’interprétation pèche par une rigidité qui évoque davantage Guillaume II que François-Joseph. Ensuite, c’est un autre Richard – (Dubugnon – qui a arrangé une suite de valses du Chevalier à la rose (1910): travail réalisé avec un brio exceptionnel, parvenant à faire sonner un orchestre de type «Ariane à Naxos» presque comme celui du Chevalier, et restitué par Les Dissonances avec un style impeccable.


La seconde partie débute par une longue parenthèse, mais comment résister à La Nuit transfigurée (1899) lorsqu’elle est confiée à un sextuor réunissant entre autres Grimal, Chorzelski et Salque, qui, de façon allante et narrative, joue sur les contrastes et procède par grands gestes quasi théâtraux?


A la fois apothéose et apocalypse du genre, La Valse (1920) ne pouvait mieux couronner cette soirée. C’est à Yann Ollivo, pianiste de l’ensemble, qu’est revenue la délicate mission d’arranger le «poème chorégraphique» de Ravel: chiche en percussion et plus généralement privé d’impact sonore dans les trois premiers quarts de l’œuvre, le résultat paraît moins convaincant que celui précédemment obtenu par Dubugnon dans Strauss, d’autant que la péroraison convoque de façon sans doute amusante mais trop anecdotique le xylophone, le guiro, la crécelle et même le sifflet à roulettes. Cela étant, comme la précision et la mise en place des Dissonances ne le cèdent nullement à mainte prestation dirigée par un chef, une conclusion aussi brillante appelait un bis, malgré l’heure avancée: ce sera, bien évidemment sur le rythme d’une valse conduite par le premier violon, l’un des Arcanes symphoniques de Dubugnon, L’Amoureux (2003), adapté par l’auteur lui-même.



Simon Corley

 

 

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