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Une Etoile totalement déjantée Zurich Opernhaus 11/26/2006 - et les 28, 30 novembre, 2, 3, 5, 7* et 9 décembre 2006
Emmanuel Chabrier: L'Étoile
Marie-Claude Chappuis (Lazuli), Anne-Catherine Gillet (la Princesse Laoula), Nora Sourouzian (Aloès), Angela Kerrison (Oasis), Ana Maria Labin (Asphodèle), Sumi Kittelberger (Youca), Gabriela Scherer (Adza), Hélène Couture (Zinnia), Joo-Hee Jung (Koukouli), Jean-Luc Viala (Le Roi Ouf 1er), Jean-Philippe Lafont (Siroco), Gabriel Bermudez (Hérisson de Porc-Epic), Guy de Mey (Tapioca), Thierry Duty (Patacha), Michael Adair (Zalzal), Yann Pugin (le chef de la police)
Chœur de l’Opernhaus de Zurich (préparation: Ernst Raffelsberger), Orchestre de l’Opernhaus, direction musicale: John Eliot Gardiner. Mise en scène: David Pountney, décors: Johan Engels, costumes: Marie-Jeanne Lecca, chorégraphie: Beate Vollack, lumières: Martin Gebhardt
L’Etoile n’a jamais réussi à entrer dans le petit cercle des piliers du répertoire lyrique, même sur les scènes de l’Hexagone; aussi convient-il de saluer l’initiative de l’Opernhaus de Zurich, qui a mis les petits plats dans les grands pour la création in loco de l’œuvre. Mais pourquoi au juste la partition de Chabrier est-elle si rarement à l’affiche? La musique est pourtant pleine de verve et d’esprit, riche en mélodies, et l’instrumentation se révèle d’une exquise finesse, n’ayant pas à rougir de la comparaison avec Offenbach, qui vient tout de suite à l’esprit dès les premières mesures de L’Etoile. Pourquoi alors cet oubli? Peut-être justement parce que l’opéra bouffe à la française est immanquablement associé à l’auteur de La Vie parisienne, reléguant pratiquement aux oubliettes les autres compositeurs du genre. Ou peut-être en raison d’une intrigue fort mince et complètement tirée par les cheveux: chaque année, le roi Ouf 1er veut faire plaisir à ses sujets en leur offrant une exécution capitale. Seulement voilà: malgré des recherches harassantes à travers tout le royaume, il ne trouve pas de victime. Jusqu’à ce que survienne Lazuli, qui, dépité parce que venant d’apprendre que la femme qu’il aime est mariée, va jusqu’à gifler le roi, lequel a donc trouvé un condamné à mort idéal. Et les quiproquos de s’enchaîner à un rythme soutenu jusqu’à la fin.
Cette exhumation zurichoise doit beaucoup à John Eliot Gardiner, fervent avocat de la musique française du XIXe siècle, qui a par ailleurs signé un enregistrement de référence de L’Etoile avec les forces de l’Opéra de Lyon. Le chef britannique fait ressortir le raffinement instrumental de la partition et confère un rythme vif et pétillant à la soirée, malgré quelques décalages entre la fosse et le plateau. Pour faire honneur au livret et à son humour décapant – quand bien même les nombreux gags ne sont pas toujours des plus fins –, l’Opernhaus a fait appel à une belle brochette de chanteurs francophones. Jean-Luc Viala et Philippe Lafont brossent de leur personnage respectif, le Roi Ouf et son astrologue Siroco, un portrait fort truculent, à la veine comique impayable. Anne-Catherine Gillet pare la Princesse Laoula d’un chant brillant et stylé, qui lui vaut les faveurs du public. Seule déçoit quelque peu la mezzo suisse Marie-Claude Chappuis, qui avait pourtant fait forte impression lors de ses récentes apparitions à Genève dans Mozart et Monteverdi. Sa projection manque de volume et la tessiture du rôle, trop haute pour elle, la met parfois à mal.
David Pountney s’en est donné à cœur joie pour présenter un spectacle totalement déjanté, transposé à Dubaï, dans un centre commercial aux couleurs vives et où le kitsch le dispute au luxe. Le metteur en scène n’a pas bridé son imagination et les trouvailles sont nombreuses, pour le plus grand plaisir du public zurichois, qui, bien que les surtitres n’affichent qu’une réplique sur trois, rit aux éclats. A signaler, pour l’anecdote, que le «product placement», pratique fort répandue désormais au cinéma (il n’y qu’à voir le dernier James Bond!), fait son apparition à l’opéra, puisqu’un des derniers modèles du sponsor du spectacle, une marque allemande de grosses cylindrées arborant sur le capot une étoile (tiens tiens!), occupe le centre de la scène. Nul doute que cette production zurichoise fera date, à défaut de consacrer définitivement le chef-d’œuvre de Chabrier.
Claudio Poloni
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