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Britten à grand spectacle

Strasbourg
Opéra du Rhin
11/17/2006 -  et les 18*, 21, 22 novembre à 20h, le 19 novembre à 15h ; à Mulhouse le 21 et le 24 octobre à 20h, le 22 octobre à 15h ; à Colmar le 1er décembre à 20h (programme « autour du Prince des pagodes – Entrée libre)

Benjamin Britten : Le Prince des pagodes, opus 57

Sylvain Boruel (L’usurpateur), Alexandre van Hoorde (Le prince), Stéphanie Madec (Blanche Rose), Myrina Branthomme (Belle Epine), Anatole Thiebaux (Le prince enfant), Mark Pace (le Roi du Nord), Grégoire Daujean (le Roi de l’Est), Miao Zong (le Roi de l’Ouest), Alain Trividic (le Roi du Sud)
Bertrand d’At (chorégraphie), Jérôme Kaplan (décors et costumes), Kristin Bredal (lumières)

Cette production du Prince des pagodes constituait l’un des meilleurs maillons d’un cycle Benjamin Britten présenté par l’Opéra du Rhin il y a déjà quelques années. On y trouvait aussi Peter Grimes dans une mise en scène discutée d’Alfred Kirchner (lire ici), A Midsummer Night’s Dream (importation de la célèbre production de Robert Carsen) et une envoûtante production des trois Church Parables, donnée dans le cadre adéquat de l’Eglise Saint Pierre Le Jeune à Strasbourg.


A l'occasion de cette reprise, Le Prince des Pagodes a malheureusement perdu son orchestre (dirigé à l’époque par Jan Latham-Koenig), remplacé par une bande enregistrée, dans des conditions techniques toutefois peu frustrantes. Quasiment aucune distorsion et un son correct, avec pour seul problème des écarts de dynamique pas vraiment réalistes (les phrases d’instruments solistes sonnent trop fort, par rapport à ce que devrait être leur volume réel). Un pis-aller qui a sans doute facilité la reprise de ce ballet doté d’une partition techniquement difficile et riche en percussions. Et finalement ne vaut-il pas mieux une bande enregistrée sans histoire qu’un accompagnement d’orchestre incertain, du fait d’un nombre de répétitions insuffisant à l’occasion d’une reprise ?


En tout cas, les conditions acoustiques sont suffisamment bonnes pour que l’on puisse apprécier à sa juste valeur une partition brillante, ballet d’action initialement créé au Covent Garden de Londres en 1957, sans doute l’une des pièces les plus intéressantes de tout le répertoire dansé du siècle dernier. De grandes proportions, ce Prince des Pagodes déborde d’idées, à peine canalisées (et jamais banalisées) par une conscience très aiguë du rythme et des impératifs de la danse. Une constante énergie rythmique, des couleurs multiples, un maniement virtuose de l’orchestration, y compris parfois quelques tics de remplissage des lignes intermédiaires typiques de l’auteur de Peter Grimes, et puis aussi l’apport décisif de musiques orientales bien analysées, notamment le gamelan balinais, largement exploré par Britten dès sa période d’exil américain, au contact de son ami compositeur Colin McPhee.


Visuellement, le ballet mis au point par Bertrand d’At est un enchantement de tous les instants. Bien sûr le concours d’un décorateur et costumier talentueux s'avère providentiel, mais même la danse pure reste une source d’émerveillement constant, notamment la gestion très libre de tout un patrimoine académique qui n’affleure qu’ici ou là, et toujours à bon escient (surtout au troisième acte, où quelques passages très brillants permettent aux danseurs de s’imposer). Partout l’imagination est au pouvoir, avec quelques points culminants, notamment les quatre soli successifs finement caractérisés des prétendants royaux au premier acte. Et les constants emprunts, toujours avisés, jamais lourds, à l’Opéra chinois et au Théâtre Kabuki, sont source d’un inépuisable merveilleux, dans lequel s’immerge avec délices un public qui retrouve là son âme d’enfant. Un plaisir d’ailleurs partagé par les nombreuses et bruissantes petites têtes blondes présentes un peu partout dans la salle.


De l’adaptation du livret effectuée par Bertrand d’At il y a peu à dire, si ce n’est qu’elle se révèle pertinente et respectueuse de l’esprit de l’ouvrage. Quant à l’exécution du Ballet du Rhin, sa justesse et sa rigueur technique sont exemplaires. Remarquables soli, très physiques, d’Alexandre van Hoorde dans le rôle du Prince, Stéphanie Madec joliment expressive en Blanche-Rose, impressionnant Alain Trividic aux prises avec l’exténuante succession de mouvements verticaux rectilignes imposés au Roi du Sud… Un sans faute, pour l’un des titres les plus accomplis du répertoire actuel du Ballet du Rhin.



Laurent Barthel

 

 

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