Back
Hopper, Homer et Warhol Paris Cité de la musique 11/22/2006 - Leonard Bernstein : Symphonie n° 2 «The Age of anxiety»
Aaron Jay Kernis : Newly drawn sky (création française)
Philip Glass : Concerto Fantasy pour deux timbaliers et orchestre
Jean-Yves Thibaudet (piano), Jonathan Hass, Didier Benetti (timbales)
Orchestre national de France, James Conlon (direction)
L’Orchestre national, qui avait déjà ouvert avec Kurt Masur le cycle que la Cité de la musique consacre en ce moment à New York (voir ici), a une nouvelle fois proposé un programme dans ce cadre, dédié cette fois-ci à trois compositeurs dont le nom est associé à la «grosse pomme», et ce sous la direction de James Conlon, également natif de cette ville et directeur musical de l’Opéra de Los Angeles depuis août dernier.
La Deuxième symphonie «The Age of anxiety» (1949/1965) de Bernstein, plus de quarante ans après que Philippe Entremont en eut créé la version révisée, était à nouveau défendue par un pianiste français, Jean-Yves Thibaudet, d’autant mieux placé pour ce faire que sa carrière s’est principalement développée de l’autre côté de l’Atlantique. Un investissement qui mérite d’être salué, car cette partition rare, qui s’apparente davantage à un poème symphonique – au demeurant fondé sur un texte d’Auden – qu’à un concerto ou même à une symphonie, n’est pas nécessairement gratifiante pour le «soliste». Accompagné par un orchestre dont Conlon n’allège pas vraiment les textures, il en défend les divers climats et influences, notamment dans la seconde partie, où le discours se fait moins austère et décousu: s’y succèdent en effet un impressionnant Chant funèbre, une scène pour piano et percussions au fort parfum jazzistique (Le Masque) et une puissante péroraison.
Après la lumière blafarde des Nighthawks d’Edward Hopper, Newly drawn sky (2005) d’Aaron Jay Kernis, autre poème symphonique qui ne dit pas son nom, évoque quant à lui les marines de Winslow Homer. C’est Conlon qui avait assuré en juillet 2005 la création de cette pièce de dix-huit minutes, dont le titre pourrait être traduit par «Ciel nouvellement dessiné». Il en donnait ici la première française, en présence de l’auteur, chaleureusement salué pour un travail néoromantique qui, dans la descendance d’Ives par ses saturations harmoniques, Copland par sa carrure robuste ou Bernstein par ses rythmes, ne casse pas trois pattes au canard tonal.
Avec le Concerto fantaisie (2000) pour deux timbaliers et orchestre de Philip Glass, résident new-yorkais depuis la fin des années 1950, c’est toute l’Amérique des boîtes de conserve Campbell’s soup immortalisées par Andy Warhol qui défile: Sousa, le rodéo, le boogie-woogie, … Jonathan Hass, créateur de l’œuvre, qu’il a par ailleurs enregistrée avec Evelyn Glennie, et Didier Benetti, soliste du National, ne se partagent pas moins de douze timbales de différentes tailles, dont ils font usage, malgré un petit nombre de baguettes, en recourant à des modes de jeu très variés (glissandi, mains frappant directement les peaux, baguettes claquant contre les cercles métalliques des instruments, …). Fidèle aux principales caractéristiques de son langage, fondé sur la répétition de petites cellules tonales, tout en s’éloignant cependant du calme souverain de ses modèles asiatiques, Glass a adopté la structure classique du concerto en trois mouvements, d’une durée totale de vingt-cinq minutes.
Le Fast introductif, peut-être en raison de l’acoustique de la Grande salle, pose un problème d’équilibre entre les forces en présence, l’ensemble paraissant le plus souvent confus et bruyant. Construit en forme d’arche (et de marche), Slower décrit une montée inexorable qui s’apaise ensuite progressivement. Mais avec c’est la cadence introductive du Very fast final que l’intérêt devient plus soutenu: associés aux percussionnistes de l’orchestre, les deux timbaliers font successivement assaut de la virtuosité la plus débridée, dans une émulation digne d’un «bœuf», conduisant à un joyeux capharnaüm de syncopes irrésistibles et de couleurs vives, dont les musiciens, face à l’enthousiasme du public, se font un plaisir de bisser les dernières pages.
Simon Corley
|