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A petit feu Paris Palais omnisports de Paris-Bercy 11/21/2006 - et 30 mai (München), 21 (Monterrey), 23 (Torreon), 26, 27, 28 (Mexico) septembre, 16 (Bordeaux), 17 (Toulouse), 18 (Marseille), 19 (Nice), 20 (Clermont-Ferrand), 22 (Paris), 23 (Amnéville), 24 (Dijon), 25 (Lille), 26 (Bruxelles), 28 (Ostrava), 29 (Budapest) novembre, 2 (Ljubljana), 7 (Innsbruck), 8 (Frankfurt-am-Main), 9 (Stuttgart), 10 (Dortmund), 13 (Lyon), 14 (Grenoble), 16 (Lisboa), 17 (Porto), 21 (Nantes), 28 (Köln) décembre 2006, 15 (Arnheim), 16 (Berlin), 17 (København), 18 (Bremen), 19 (Kiel), 20 (Horsens), 21 (Oslo), 22 (Lillehammer), 24 (Stockholm), 26 (Turku), 27 (Helsinki) février 2007 Giuseppe Verdi : Aida
Eugenia Garza*/Ludmila Magomedova/Assia Davidov/Iordanka Derilova (Aïda), Ernesto Grisales*/Mario Zhang (Radamès), Irina Bossini*/Veronika Hajnova (Amnéris), Nikolaï Nekrassov (Amonasro), Ilia Popov (Le Roi), Krassimir Derilov (Ramfis), Nikolaï Visniakov (Le Messager), Ramona Eremia (Une prêtresse)
Ensemble de ballet du Théâtre d’Usti nad Labem, Chœur de l’Académie nationale d’Ukraine «Dumka», Evgueni Savtchouk (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Lviv, Walter Haupt (direction)
Joseph Rochlitz (mise en scène), Pier’ Alli (scénographie, costumes), Simona Chiesa (chorégraphies), Sergio Metalli (projections), Andreas Kisters (lumières)
Sous l’intitulé ronflant «Aida monumental opéra en feu», la tournée mondiale d’une production décrite comme «unique avec des projections cinématiques et des effets pyrotechniques fantastiques» fait étape en France pour treize représentations. Le passage par Paris semblait suggérer un retour aux très spectaculaires grandes heures du Palais omnisports de Bercy, dont la première expérience en matière classique avait déjà été consacrée, en 1984, au chef-d’œuvre de Verdi. Mais le public, qui n’a pas entièrement garni les gradins, est pris à contre-pied: si le show fait un flop… monumental, la musique proprement dite offre quelques consolations inattendues.
Avec Aida (1871), le malentendu est connu: si «pharaonique» est bien évidemment le qualificatif qui vient sans doute à l’esprit du plus grand nombre, l’œuvre, qui, de fait, a toujours eu l’honneur de vastes espaces en plein air (Vérone, Orange, …), n’en réserve pas moins une majorité de moments de dimension modeste, à l’image d’une conclusion tout sauf tonitruante. Quant aux pages les plus célèbres – seconde scène du deuxième acte ou même Celeste Aida – elles ne constituent que quelques minutes sur près de deux heures trois quarts. Pourquoi donc ces tentatives récurrentes, alors que d’autres opéras, dans lesquels foules, chœurs et ensembles tiennent une part plus importante, trouveraient bien mieux leur place à Bercy: à quand Les Maîtres chanteurs de Nuremberg?
La raison d’être de tels spectacles n’en demeure pas moins: les producteurs ont compris que subsistait de nos jours un grave problème d’accès à la culture. Et ce problème n’est pas d’ordre financier – le prix des places (39 à 115 euros) apparaissant tout à fait comparable à celui que pratiquent l’Opéra national de Paris ou le Théâtre du Châtelet – mais d’ordre social. Bref, en 2006, «l’opéra populaire» se situe à Bercy et toujours pas à Bastille, non loin de là pourtant, où l’on n’ose probablement pas encore aller par ce que l’on craint de s’y sentir moins à l’aise.
Peu importe, dès lors, que le confort acoustique – et le confort tout court, car il vaut mieux prévoir de se vêtir chaudement – et la qualité musicale soient inférieurs à ce que toute maison d’opéra est en mesure d’offrir, les spectateurs étant visiblement ravis de leur soirée: l’entrée des musiciens est précédée d’une petite fanfare (non, quand même pas les «trompettes» d’Aida) et le chef d’orchestre ressemble à un vrai maestro, avec en prime la crinière blanche du vieux Liszt; on prend des photos de groupe durant l’entracte et on fait crépiter les flashes pour conserver un souvenir des tableaux les plus impressionnants. Mais si, parmi ces milliers de personnes, il en est simplement une centaine qui connaît à cette occasion la révélation de nature à lui faire franchir ensuite le seuil d’une institution lyrique, le pari ne sera-t-il pas déjà gagné? Et quand la «grande musique» s’affiche le matin même à la une du Parisien, peut-on faire la fine bouche?
Cela étant, ceux qui se réjouissaient par avance d’assister à un péplum grandiose et époustouflant auraient pu trouver leur bonheur dans n’importe quel théâtre, avec des effets spéciaux certainement au moins aussi réussis, car Art concerts de Franz Abraham, qui possède déjà à son actif «Carmina burana monumental opera», déçoit sur le terrain où l’on était en droit d’en espérer le plus: la réalisation visuelle. Une voix préenregistrée promettait, avec un léger accent allemand, trois heures «à couper le soufflé» (sic): force est de constater que si «soufflé» il y avait, il est lourdement retombé. Car bien loin de tirer parti de l’immensité du lieu, Pier’ Alli a créé un décor unique d’une grande sobriété, dressé à l’une des extrémités de la salle: les marches d’une pyramide – une variante de l’indispensable plan incliné – devant laquelle l’orchestre est installé, derrière laquelle un écran de vingt-cinq mètres sur dix diffuse de médiocres «projections» de Sergio Metalli et au-dessus de laquelle flotte le sous-titrage. Il a également conçu des costumes d’une affligeante banalité, avec des prêtres qui paraissent sortir de Star wars. Se rend-on à Bercy pour découvrir en fin de compte un agencement aussi traditionnel et économe?
La question de pose d’autant plus que la mise en scène et la direction d’acteurs de Joseph Rochlitz, d’un académisme et d’un hiératisme confinant au statisme, ainsi que la chorégraphie de Simona Chiesa, d’une drôlerie irrésistible (il faut avoir vu les soldats faire tourner leurs sabres et leurs lances en carton comme des bâtons de majorettes) – dans un registre voisin, le Crazy horse fait nettement mieux. Et ce alors qu’un tel cadre appelle manifestement une conception d’une autre envergure, par exemple la créativité débridée et l’habile utilisation des volumes dont Jérôme Savary faisait preuve dans ses Contes d’Hoffmann (voir ici).
Même le feu, abondamment présenté comme l’élément original et inoubliable du projet («Aida on fire»), est chichement mis en valeur: quelques torches et brasiers, et ces lance-flammes qui soulignent inutilement les climax de la partition, sorte d’éphémère rôtissoire qui a toutefois le mérite de réchauffer brièvement les premiers rangs du parterre. Pas un hiéroglyphe ne manque certes à l’appel, pas un danseur n’oublie de se mettre bien de profil, mais cela fait vraiment un peu court: la pyrotechnie annoncée est sans doute renvoyée à des jours meilleurs, tandis que d’interminables changements de plateau viennent ralentir l’action.
Le «plombier polonais» n’a pas attendu le récent élargissement de l’Union européenne pour faire son apparition dans notre paysage musical: depuis de nombreuses années, bien des concerts ou opéras «clefs en main» sont ainsi «importés» à bas coût de ce que l’on appelait autrefois les «pays de l’Est». Malgré ce que tente tout naturellement de faire accroire la promotion, «Aida monumental on fire» n’est ni plus ni moins qu’un nouvel avatar – et pas artistiquement le plus malhonnête – de ce phénomène: ici, l’orchestre et le chœur sont ukrainiens, le ballet vient de République tchèque.
La distribution vocale est outrageusement dominée par le Radamès du Colombien Ernesto Grisales, qui s’impose par la qualité de son timbre et son sens du legato. A ses côtés, Aïda maîtrise les aigus du rôle mais est affectée par un énorme vibrato. Les autres chanteurs sont loin derrière, ne concédant au demeurant pas le moindre effort de diction – Amnéris aux graves épouvantables, Ramfis catastrophique, Roi qui ne fait même pas l’effort de chanter – à l’exception de l’Amonasro de Nikolaï Nekrassov, qui tire en revanche son épingle du jeu. L’Orchestre philharmonique de Lviv est mené à la prussienne par le Dr. Walter Haupt, mais le Chœur de l’Académie nationale d’Ukraine se montre tout à fait acceptable lorsqu’il évite de beugler.
Eternelle et insoluble difficulté dans ce genre d’aventure, la sonorisation se révèle confuse et cathédralesque dans les ensembles et tutti, mais nettement plus satisfaisante dès que l’on se situe en dessous du fortissimo, malgré une puissante soufflerie qui tend fâcheusement à capter l’attention. Elle contribue ainsi paradoxalement à l’impression somme toute pas entièrement négative que l’on peut retirer d’une telle entreprise. Paradoxalement, car c’est le caractère plus intimiste des deux derniers actes qui ressort le mieux, dans une vision probe, sincère et engagée, alors même que l’objectif était bien plus d’épater la galerie avec la pompe des deux premiers.
Le site du spectacle
Simon Corley
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