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La leçon du professeur Aimard Paris Théâtre des Champs-Elysées 11/20/2006 - Robert Schumann : Etudes symphoniques, opus 13
György Ligeti : Etudes n° 3 «Touches bloquées», n° 4 «Fanfares», n° 10 «Zauberlehrling», n° 11 «En suspens», n° 13 «L’Escalier du Diable» et n° 15 «White on white»
Claude Debussy : Etude n° 1 «Pour les cinq doigts»
Frédéric Chopin : Etudes en fa mineur, opus 25 n° 2 et opus posthume
Serge Rachmaninov : Etude-tableau, opus 33 n° 5
Franz Liszt : Etude d’après Paganini n° 5 «La Chasse»
Olivier Messiaen : Etude de rythme n° 1 «Ile de feu»
Pierre-Laurent Aimard (piano)
Un lundi soir, jour creux de la semaine s’il en est, et malgré la concurrence de Maxim Vengerov dans un concert de musique de chambre à Pleyel, Pierre-Laurent Aimard a quasiment fait le plein au Théâtre des Champs-Elysées: une excellente surprise, alors même que son programme, construit autour de la notion d’étude, affichait, pour séduisant qu’il était sur le papier, une visée plus pédagogique que virtuose. Car avec lui, l’interprète ne se contente pas de jouer, mais il réfléchit aussi: pas question de se cantonner à une juxtaposition d’œuvres qui serait le fruit du hasard, mais une volonté de renouveler l’intérêt de l’exercice souvent trop convenu qu’est le récital.
Les Etudes symphoniques (1835) de Schumann occupaient à elles seules toute la première partie, augmentées des cinq variations posthumes qu’il intercale entre les septième et huitième études, comme dans son enregistrement paru tout récemment chez Warner. Après avoir pris tout le temps nécessaire (quatre-vingt-dix secondes!) pour que s’apaisent les bruits et que la concentration s’installe, Aimard se lance dans une démonstration de rigueur et de technique qui ne rime pas pour autant avec rigidité, tant il déploie une large palette de nuances lui permettant de caractériser avec précision chaque étude. Aux antipodes de l’éclat qui est le plus souvent donné à ce recueil, son approche n’est pas principalement «symphonique», même si la vaste variation finale conduit à une puissante péroraison, et la mesure n’y perd jamais ses droits, sans doute quelquefois au détriment de l’élan, impression qu’accentuent des tempi assez retenus.
Toutes les bonnes études vont par douze, comme d’ailleurs chez Schumann, mais au lieu de proposer un cycle complet d’un seul compositeur, Aimard écarte tout risque de monotonie et choisit, en seconde partie, d’associer à six Etudes (1985-1995) de Ligeti, dont trois qu’il a lui-même créées, six autres études empruntées à Chopin, Liszt, Rachmaninov, Debussy et Messiaen: le rapprochement se fait deux à deux, Pour les cinq doigts trouvant son pendant dans White on white, La Chasse dans Fanfares, … Et, comme tout professeur qui se respecte, il n’entend dispenser sa leçon que dans le plus grand silence. Revendication légitime, tant pour le pianiste que pour les spectateurs – tant pis pour les inévitables tousseurs, sèchement apostrophés entre deux Etudes: «Mesdames, messieurs, je vous en prie, rappelez-vous qu’une salle de concert est faite pour faire de la musique et pas pour tousser!».
Il aurait effectivement été dommage de goûter dans de mauvaises conditions ce piano sonore et rythmé, précis et coloré, vif et drôle, subtil et fluide, dont on pourra d’ailleurs penser qu’il s’exprime plus librement que dans Schumann. Traduisant le souci constant, chez Aimard, de faire apparaître les sources de la musique de notre temps et de la faire dialoguer avec le passé, les correspondances qu’il a agencées tracent un itinéraire intelligent et original, mais aussi facétieux, débutant par exemple en forme de clin d’œil par cet «hommage» à Czerny qu’est Pour les cinq doigts.
De facétie, il n’en manque décidément pas, car au septième rappel, les spectateurs croient avoir enfin gagné un bis, mais s’asseyant à son clavier, il se tourne vers l’assistance avec ces mots: «Faisons un deal: la prochaine fois que nous nous rencontrons, vous me faites un concert sans toux et je vous fais six bis.» Le professeur Aimard va-t-il cependant punir toute la classe par la faute d’un ou deux élèves indisciplinés? Non, car il annonce un bref morceau de Kurtag. Mais l’espoir est de courte durée, puisqu’il va se contenter de mimer la pièce, en forçant sur les gestes et les mimiques. Dans une parodie grinçante digne du meilleur théâtre de l’absurde, il tend ainsi à une partie du public un miroir qui lui renvoie de façon cinglante une image grimaçante de sa superficialité, comme s’il voulait lui signifier que ses attentes ne méritent que le simulacre de musique consenti de la sorte.
Simon Corley
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