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La saveur retrouvée des oranges de Prokofiev Paris Opéra Bastille 11/13/2006 - et les 18*, 20, 26 & 28novembre, les 1er, 4, 7 & 9 décembre Serge Prokofiev : L'Amour des trois oranges Philippe Rouillon (Le Roi de Trèfle), Charles Workman (Le Prince), Patricia Fernandez (La Princesse Clarice), Guillaume Antoine (Léandre), Barry Banks (Trouffaldino), Jean-Luc Ballestra (Pantalon), Alain Vernhes (Tchélio), Jeanne-Michèle Charbonnet (Fata Morgana), Natacha Constantin (Nicolette), Letitia Singleton (Linette), Aleksandra Zamojska (Ninette), Victor von Halem (La cuisinière), Antoine Garcin (Farfarello), Lucia Cirillo (Sméraldine), Rodrigo Garcia (Le Héraut), Nicolas Marie (Le maître de cérémonies).
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction Alexander Lazarev. Mise en scène : Gilbert Deflo.
Cette production de L’Amour des trois oranges de Prokofiev, l’une des meilleures de la saison passée (lire ici), méritait bien d’être reprise et on la revoit avec le même plaisir – en regrettant d’ailleurs que le spectacle ne soit pas de nouveau proposé pour les fêtes de fin d’année. Gilbert Deflo multiplie les gags, les clins d’œil, empruntant aussi bien au cirque qu’à la commedia dell’arte, avec magicien cracheur de feu, médecins à la Molière, cuisinière à la stature d’ogresse géante, etc. Mais il a bien perçu aussi la dimension initiatique et peut-être douloureuse de cette bouffonnerie : le Prince est un Pierrot, blanc et triste, que seul l’amour rendra à la vie. La scène de la rencontre avec Ninette, pour ne rien dire du ciel qui se constelle, ferait presque penser à Tamino et Pamina – on pense, du coup, à la Flûte salzbourgeoise d’Achim Freyer qui, elle aussi, se déroulait dans un cirque. Tout étant mis en abyme, le cirque, justement, a ses spectateurs, ses accessoiristes qui, en guise de seau d’eau salvateur, apportent au couple assoiffé un grand tissu bleu.
La distribution reste en grande partie la même. Le prince dégingandé de Charles Workman, déjà magnifique l’année dernière, a encore gagné en aisance scénique et vocale, offrant une composition d’une subtilité difficile à égaler. On ne saurait rêver non plus Trouffaldino aussi impayable que Barry Banks, bondissant, pétulant, ténor bouffe agile et stylé à la fois. Si la fraîcheur adolescente d’Aleksandra Zamojska est intacte, la Fata Morgana de Jeanne-Michèle Charbonnet constitue une bonne surprise : on savait bien, si l’on avait vu sa Vénus genevoise, qu’elle saurait jouer les vamps, mais on ne s’attendait pas forcément à cet assouplissement de l’émission. Alain Verhnes est égal à lui-même, modèle d’articulation et de présence, néanmoins un peu fatigué vocalement. Fatiguée aussi la Cuisinière de Victor von Halem, aux graves fantomatiques. Philippe Rouillon, en revanche, convainc toujours autant en Roi de trèfle. L’ensemble est, de toute façon, si homogène, les chœurs si bien préparés par Peter Burian, qu’on passe vite sur telle ou telle faiblesse individuelle.
C’est dans la fosse que le bât blesse : Alexander Lazarev fait regretter Sylvain Cambreling, pourtant si décrié, mais qui avait, au fur et à mesure des représentations, pris toute la mesure de l’ironie mordante d’une partition dont il avait d’emblée révélé les subtilités. Le chef russe nous ramène à l’époque des apparatchiks de la baguette, fonctionnaires de la direction plus qu’authentiques chefs d’orchestre : ni humour ni finesse dans cette lecture fonctionnelle et pataude, qui enlève tout son sel à la célèbre Marche. On ne peut s’empêcher d’imaginer, en l’écoutant, à imaginer ce qu’un Rojdestvenski ou un Jurowski auraient fait à sa place.
Didier van Moere
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