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New York, New York

Paris
Cité de la musique
11/14/2006 -  et 8 octobre (London), 12 (Porto), 15 (Châlons-en-Champagne), 16 (Caen), 18 (Grenoble) novembre 2006
Steve Reich : Daniel variations (création française) (#) – Music for eighteen musicians

Steve Reich (piano, diffusion sonore) and musicians: Les Scott, Al Hunt (clarinette), James Preiss, Russell Hartenberger, Bob Becker, Thad Wheeler, Garry Kvistad, Gary Schall (percussion), Nurit Tilles, Ed Niemann, Phillip Bush, Lisa Moore (piano), Liz Lim-Dutton, Todd Reynolds (#) (violon), Scott Rawls (alto), Eugene Moye (violoncelle) – Synergy vocals: Micaela Haslam, Amanda Morrison, Andrew Busher, Gerard O’Beirne, Suzanne Wilson, Heather Carincross – Brad Lubman (#) (direction)


Porte de Pantin, les mardis se suivent en faisant salle comble mais ne se ressemblent pas: après «Les Temps modernes» conclus magistralement par Pierre Boulez à la fois en tant que chef et compositeur (voir ici), le nouveau cycle de la Cité de la musique qui, dans le cadre d’une saison entièrement consacrée au thème du voyage, s’intitule simplement «New York», a véritablement débuté, après une introduction festive à Pleyel (voir ici), par la première des quatre étapes de la tournée française de Steve Reich et de ses musiciens, éminents représentants de l’image de cette ville depuis plus de quarante ans.


Ce cycle se prolongera jusqu’au 2 décembre par huit autres manifestations s’adressant, comme de coutume, à tous les publics, enfants compris. Dans le domaine «classique», on relèvera notamment un rare programme (Barber, Bernstein et Copland) de l’Orchestre national d’Ile-de-France avec son directeur musical, Yoel Levi, et une prestation très attendue de l’Ensemble intercontemporain dans une création de Murail ainsi que des pièces de Carter et Reich. Mais les formations de Radio France offriront également d’intéressantes découvertes, avec Kernis, Glass et Bernstein pour le National sous la direction de James Conlon, puis à nouveau Reich, cette fois-ci au Philhar’ sous la direction de Brad Lubman.


Mais comment a-t-on pu concevoir une programmation sur New York sans John Cage ni happening? Le début assez chaotique du concert remédie fort heureusement à cet oubli des organisateurs: les musiciens s’installent, mais restent silencieux – certes moins de 4’33, mais l’effort mérite d’être salué – et ne tardent pas à quitter la scène, à la Haydn, tandis qu’à leur retour – une fois, semble-t-il, réglé un problème de partition du second violon – le violoncelliste rate une marche et perd ses lunettes. Entre-temps, profitant de cette pause inattendue, certains spectateurs auront tenté, par leurs applaudissements impatients, un remake de Clapping music. Et, alors que les choses sont enfin engagées depuis près de cinq minutes, le premier violon casse une corde: le temps d’installer une corde neuve, il faut évidemment reprendre l’exécution au début. L’esprit frappeur se manifestera cependant à une reprise, l’une des pianistes, indisposée, devant rejoindre les coulisses durant quelques minutes, mais sans pour autant interrompre cette fois-ci le déroulement de la soirée.


Décidément, l’école «minimaliste» américaine est inspirée par l’actualité la plus tragique: après John Adams, qui retraçait le drame de l’Achille Lauro dans son opéra The Death of Klinghoffer, Steve Reich, qui a lui-même évoqué trois moments-clefs de l’histoire du siècle passé dans ses Three tales, a dédié Daniel variations à la mémoire de Daniel Pearl, assassiné au Pakistan en 2002, correspondant du Wall Street Journal mais aussi violoniste de jazz et mandoliniste à ses heures. Créées le mois dernier à Londres alors que le compositeur venait de fêter ses soixante-dix ans, ces Variations comportent quatre mouvements d’un seul tenant (vingt-neuf minutes), impairs en mineur sur des textes du prophète Daniel, pairs en majeur sur des textes de Daniel Pearl lui-même, trente-neuf mots au total.


Après ses You are (Variations) (2004), que l’on pourra entendre le 25 novembre, et ses Variations (2005) chorégraphiées pour vibraphones, pianos et cordes (voir ici), Reich reste donc fidèle à ce concept, pour lequel il démontre un attachement qui relève du paradoxe s’agissant d’une musique que l’on a tendance à qualifier un peu rapidement, par commodité, de «répétitive». Mais les principales caractéristiques de son langage n’en demeurent pas moins immédiatement identifiables: inlassable pulsation de ces rythmes enchevêtrés et syncopés produits par les pianos et la percussion, sur lesquels planent les lents chorals des vents et cordes, doublés par les voix.


Coiffé de son habituelle casquette et crédité de la «diffusion sonore», Reich est effectivement lui-même à la console technique qui s’efforce d’assurer l’équilibre entre les vingt protagonistes – deux clarinettes, six percussionnistes (se partageant quatre vibraphones, deux grosses caisses et un gong), quatre pianos, un quatuor à cordes et quatre chanteurs du groupe Synergy vocals, juchés sur des tabourets, micro en main, à la façon des Swingle singers – et il faut donc croire qu’il a recherché cette complète fusion des voix avec les instruments, conférant ainsi aux textes un rôle assez secondaire, mais aussi cette amplification cotonneuse et confuse, à la fois tintinnabulante et réverbérée.


Après cette création, le seconde partie proposait au contraire une œuvre historique, marquant une date importante dans la consolidation du style de Reich, à savoir la Musique pour dix-huit musiciens (1976). La formation requise est d’ailleurs quasiment identique à celle des Daniel variations, sous réserve des cordes (limitées au violon et au violoncelle) et des voix (une soprano et une alto au lieu de deux ténors). Mais outre une organisation formelle différente – pas de «mouvements», mais des «sections» générées par un matériau parcimonieux (onze accords énoncé au début et à la fin); pas de chef, mais une interaction stimulée par les indications données par certains des musiciens (deux clarinettes basses et surtout, au centre, un vibraphone carillonnant) – le propos paraît toutefois beaucoup plus radical. Au fil des années, ce dynamitage en règle de tous les éléments du discours classique (mélodie, tempo, développement, …), sous une apparence de tonalité en fait complètement vidée du sens qui s'y attache dans la tradition occidentale, se serait-il étiolé sous l’effet d’un succès confortable et engourdissant, devenant davantage la déclinaison d’un procédé qu’un processus créatif, comme si Warhol avait pris la place de Vasarely?


Pour l’occasion, le compositeur tient l’une des parties de piano et apporte parfois son concours sur l’un des marimbas, participant ainsi comme les autres musiciens aux nombreux mouvements qui se déroulent sur le plateau entre percussionnistes (ainsi qu’une chanteuse) – qui viennent se mettre au piano – et pianistes – qui prêtent occasionnellement main forte à la percussion. Toujours à base de changements quasi insensibles, jouant sur les illusions de l’auditeur, le flux musical n’est jamais interrompu, rien n’étant laissé au hasard pour ce faire, à l’image de ce passage de témoin entre les deux joueurs de maracas, l’un s’effaçant progressivement pendant que l’autre montre en puissance. Bien entendu, les fans sont aux anges et le parterre se lève pour acclamer la troupe qui vient saluer à quatre reprises au grand complet.


Le site de Steve Reich
Le site de la Fondation Daniel Pearl



Simon Corley

 

 

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