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A Prague le samedi, à Vienne le dimanche

Paris
Salle Pleyel
10/29/2006 -  
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni (version dite «de Vienne»), K. 527, K. 540a, K. 540b et K. 540c

Johannes Weisser (Don Giovanni), Lorenzo Regazzo (Leporello), Olga Pasichnyk (Donna Anna), Kenneth Tarver (Don Ottavio), Alexandrina Pendatchanska (Donna Elvira), Sunhae Im (Zerlina), Nikolay Borchev (Masetto), Alessandro Guerzoni (Le Commandeur)
Le Jeune chœur de Paris, Piers Maxim (assistant musical et chef de chœur), Orchestre baroque de Fribourg, René Jacobs (direction)


Après Cologne et Bruxelles, la Salle Pleyel accueillait en version de concert (avec surtitres, hélas un peu sommaires et approximatifs) une production de Don Giovanni (1787) de Mozart déjà présentée en août à Innsbruck (voir ici) puis au début du mois à Baden-Baden (voir ici). Outre quelques changements dans l’affiche, cette étape parisienne présentait une particularité intéressante: le samedi soir était interprétée la version de la création à Prague le 29 octobre 1787, tandis que le dimanche après-midi, ce sont les aménagements réalisés pour la reprise à Vienne, le 7 mai 1788, qui étaient donnés. Par conséquent, bien que cet opéra soit l’un des plus célèbres du répertoire, les choses sont loin d’aller de soi s’agissant de ce que l’on doit retenir de ces deux états successifs de la partition.


Car pour le spectateur habitué à des représentations s’attachant en très grande majorité à tirer le meilleur de ce que Mozart a destiné aux deux villes, la seule «version viennoise» risque de paraître tronquée. En effet, l’ajout de «Dalla sua pace» au premier acte y est compensé par la suppression de «Il mio tesoro» au second acte, alors que ces deux airs de Don Ottavio sont usuellement conservés de nos jours, de même que le «Mi tradi» de Donna Elvira, composé pour Vienne, s’est également imposé. Dès lors, le seul apport véritable consiste en un duetto entre Zerlina et Leporello (celui-ci perdant en contrepartie son air «Ah, pieta, signori miei!»), précédé et suivi de longs récitatifs, dans la mesure où cette partie du second acte est quant à elle presque systématiquement omise aujourd’hui, au bénéfice de la version pragoise.


Prenant les devants dans une longue et passionnante «auto-interview» reproduite dans le programme, René Jacobs, tout en jugeant les deux versions «de valeur absolument équivalente», plaide en faveur de ce rééquilibrage opéré pour Vienne entre le dramma et le giocoso, au bénéfice de ce dernier élément. De même, il estime que pour des raisons tenant aussi bien à la dramaturgie qu’à la logique tonale de l’œuvre, le compositeur n’a jamais véritablement songé à supprimer le happy end moralisateur du sextuor final, ce que sembleraient confirmer les recherches musicologiques les plus récentes. Mais quelle que soit la pertinence de ses arguments, force est de constater que la version viennoise «pure» conduit notamment à priver les spectateurs d’un joyau tel que «Il mio tesoro» et que malgré toute la passion qu’il y met, le duetto «Per queste tue manine» est en retrait par rapport aux autres numéros.


Mais si le chef gantois refuse de trancher entre Prague et Vienne, c’est parce qu’il est animé par la volonté de procéder à une relecture en profondeur de la musique et du livret, ne négligeant à cette fin aucune piste, qu’elle soit d’ordre historique, sociologique ou interprétatif. Pour ce faire, il dispose avec l’Orchestre baroque de Fribourg d’un ensemble qui en remontre sans peine à la plupart des formations spécialisées comparables: rien à voir, par exemple, avec les imprécisions et l’acidité du Concerto Köln voici quelques mois au Théâtre des Champs-Elysées dans la mise en scène d’André Engel (voir ici). En outre, non seulement la fiabilité des instrumentistes est grande, mais leur conviction est entière, comme en témoigne la manière dont cordes et bois s’impliquent énergiquement, en se levant, voire en se déplaçant sur le plateau, dans les musiques de danse ou d’agrément que comportent les finals des deux actes, ou dont le percussionniste ponctue l’engloutissement du héros par un roulement de tonnerre produit non avec ses timbales, mais avec une grosse caisse.


Visiblement, le souvenir de la scène habite encore la troupe et si la simple «mise en espace» qu’autorise une exécution de concert trouve rapidement ses limites – tel le Commandeur qui, une fois assassiné, rejoint dignement les coulisses – tous évoluent sans partition, recourant même à quelques accessoires (un petit calepin rouge en guise de catalogue pour Leporello, des masques pour le bal, …), et suscitent fréquemment les rires du public.


On ne pourra certainement pas dénier à Jacobs la ténacité avec laquelle il met en application une vision d’une parfaite cohérence, même si certains aspects ne manqueront pas d’en être contestés. En tout cas, contrairement à ce que l’on a pu constater dans bien des spectacles mozartiens de ces dernières années, il ne précipite pas sans cesse le tempo et, même s’il n’est pas nécessairement aisé de s’habituer à un «Trio des masques» ou même à un «Batti, batti» aussi vifs, la construction implacable de la confrontation finale avec le Commandeur produit un effet tout à fait saisissant. Cette direction d’essence profondément dramatique, avec un sens de la surprise qui tourne parfois à la coquetterie, notamment des silences ou des ralentis fortement soulignés, trouve tout particulièrement à s’exprimer dans les récitatifs, accompagnés ou «secs», ces derniers confiés à un pianoforte fort volubile, qui assure par ailleurs le continuo dans les tutti, ainsi qu’au violoncelle solo. Enfin, les chanteurs sont invités à aller au-delà du texte écrit, selon la pratique en usage du temps de Mozart, à la faveur des points d’orgue ou des reprises, même s’ils ornementent hélas avec un bonheur inégal.


La mode est décidément aux Don Giovanni jeunes et à la voix légère: comme Lucio Gallo, dans la mise en scène d’Engel évoquée plus haut, Johannes Weisser (né en 1980) tient davantage du voyou narquois que du grand seigneur, tournant résolument le dos à la tradition hoffmannienne qui prévaut depuis le XIXe siècle, mais Jacobs s’en justifie par avance en indiquant son souci de revenir à la différenciation plus marquée des emplois qui était de mise à l’époque de Mozart: il rappelle ainsi que le créateur du rôle n’avait que vingt-quatre ans et que s’il n’était évidemment pas buffo, il ne s’apparentait pas au serio pour autant, mais relevait plutôt du mezzo carattere. Dans ces conditions, la prestation du Norvégien, qui fait par ailleurs étalage d’un falsetto tout à fait délicieux, peut être considérée comme satisfaisante, même s’il demeure étrange de se faire à l’idée que Don Giovanni excelle surtout en chanteur de sérénade, dans «Deh, vieni», et, qu’au sein de la distribution, il est celui dont la projection est la plus limitée.


Dès lors, il ne peut faire que relativement pâle figure aussi bien auprès du Masetto de Nikolay Borchev, dont la richesse du timbre s’accommoderait sans nul doute de rôles plus lourds, que de l’impeccable Commandeur d’Alessandro Guerzoni. Quant à Lorenzo Regazzo, il confirme, avec une basse bien profonde (et une superbe veste vert tilleul), sa grande aisance en Leporello. Autre protagoniste de la production du Théâtre des Champs-Elysées, Alexandrina Pendatchanska est plus convaincante qu’au printemps dernier en Donna Elvira, avec un «Mi tradi» de belle facture: peu avantagée par la mise en espace, qui la conduit maintes fois à être placée derrière l’orchestre, à l’effectif certes peu fourni (vingt-trois cordes), elle continue cependant d’être affectée tant par l’inégalité de ses registres, en raison de graves souvent rauques et d’aigus qu’elle a tendance à crier, que par une instabilité et une tension qu’elle ne parvient pas toujours à maîtriser.


L’incarnation puissante et romantisante, théâtrale et tragique, d’Olga Pasichnyk en Donna Anna jure quelque peu dans cet environnement vocal subtil et de petit format. Mais ses aigus, qu’elle négocie généralement bien, possèdent une couleur magnifique, avec un «Non mi dir» qui le cède à peine à un splendide «Or sai chi l’onore». Le couple «aristocratique» domine d’autant plus facilement que Werner Güra trouve en Kenneth Tarver bien mieux qu’un remplaçant: s’il ne parvient pas à effacer l’image fade et falote qui s’attache à Don Ottavio et que Jacobs conteste au demeurant dans son analyse susmentionnée, le ténor américain brille par sa sensibilité, sa diction et son legato.


Fraîche et piquante, la Zerlina de Sunhae Im est encore un peu verte et juvénile, voire un tantinet vulgaire, un sentiment corroboré par des ornements qui se livrent à de bien curieuses incursions dans le colorature. Enfin, préparé par Piers Maxim, le Jeune Chœur de Paris, que Jacobs associe de façon inhabituelle au septuor soliste dans «Viva la liberta», assure au mieux la tâche néanmoins assez mince qui lui est assignée.


Le site de l’Orchestre baroque de Fribourg



Simon Corley

 

 

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