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Les Troyens salzbourgeois invités à Paris

Paris
Opéra Bastille
10/11/2006 -  et les 15*, 17, 21, 21 & 28 octobre, les 1er, 4, 9 & 14 novembre
Hector Berlioz : Les Troyens
Deborah Polaski (Cassandre, Didon), Jeanne-Michèle Charbonnet (Cassandre), Yvonne Naef (Didon), Gaële Le Roi (Ascagne), Jon Villars/Jon Ketilsson (Enée), Franck Ferrari (Chorèbe), Nicolas Testé (Panthée, Mercure), Philippe Fourcade (le Fantôme d’Hector), Nikolai Didenko (Priam, Un capitaine troyen), Frédéric Caton (Un capitaine grec, Un capitaine troyen), Bernard Richter (Helenus, Hylas), Elena Zaremba (Anna), Kwangchul Youn (Narbal). Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Sylvain Cambreling. Mise en scène : Herbert Wernicke.

Il est dangereux, même pour un hommage justifié, de reprendre une production après la mort du metteur en scène. Les Troyens salzbourgeois du regretté Herbert Wernicke, présentés pour la première fois lors du festival de 2000 à l'initiative de son directeur Gérard Mortier, résistent en tout cas fort bien au passage à l’Opéra Bastille. Le parti pris de sobriété et d’esthétisation, très différent de la perspective adoptée par Yannis Kokkos au Châtelet, séduit toujours autant, même si les casques, les mitraillettes et les képis des Troyens, façon Europe de l’Est de jadis, relèvent aujourd’hui d’une mode dépassée. Le décor unique, délimité par une paroi blanche concave, permet de faire le lien entre les deux parties de l’œuvre. Au milieu, une brèche verticale montre la fragilité de toute civilisation : les Grecs finissent par pénétrer dans Troie comme les Romains finiront par pénétrer dans Carthage. Dans chaque tableau, tout est réduit à l’essentiel : un canapé et deux ou trois éléments d’un orientalisme discret suffisent pour le palais de Didon, une barque échouée sur la grève suffit pour les rivages de Carthage… Les costumes échappent à tout bariolage : au-delà du noir omniprésent, le rouge des Troyens se différencie du bleu des Carthaginois. La direction d’acteurs joue aussi sur l’économie des gestes, évacuant tout ce qui pourrait rappeler la rhétorique du grand opéra, déjà suffisamment présent dans certaines pages, au profit d’un dépouillement très classique. On est plus proche de Gluck que de Meyerbeer ce qui finalement correspond bien aux intentions de Berlioz. Certaines scènes sont très belles, comme la fin du deuxième tableau du quatrième acte, où les enchantements de la nuit enveloppent les amants, avec, au fond, un ciel superbement constellé.
Faut-il blâmer Sylvain Cambreling d’avoir supprimé ici, par exemple les ballets, et rajouté là, notamment pour permettre l’entrée et la sortie du chœur à travers la brèche ? Aucune version des Troyens ne pouvant être considérée comme définitive, on s’en gardera bien ; les justifications qu’il apporte dans son entretien avec Pierre-René Serna ne sont pas moins recevables que d’autres. De toute façon, on retiendra d’abord la qualité de sa direction. Autant il a raté Les Noces de Figaro, autant il réussit ces Troyens, n’en déplaise à ceux qui se sont ridiculisés en le huant – et qui finissent par accréditer eux-mêmes la thèse du complot qu’ils reprochent tant à Gérard Mortier. L’orchestre est remarquablement tenu, sans aucun dérapage pompier dans le final de « La Prise de Troie » ou le chœur initial des « Troyens à Carthage » ; le chef arrive à créer de vraies atmosphères, d’une grandeur tragique dans le chœur évoquant la mort de Laocoon, d’une sensualité frémissante dans le duo mythologique, où il obtient des musiciens une souplesse rythmique et un raffinement de sonorité remarquables ; il maintient surtout, alors qu’il y a tout de même une certaine disparité dans la partition, une tension constante, en vrai chef de théâtre.
Vocalement, la production manque d’homogénéité. Le choix d’une seule chanteuse pour Cassandre et Didon était presque imposé par la vision de Herbert Wernicke. Il reste que Deborah Polaski, cinq ans après Salzbourg, ne maîtrise plus sa quinte aiguë, avec des notes attaquées trop bas ou carrément fausses, des aigus escamotés, un vibrato dangereusement élargi. Mais on est bien près de lui pardonner, parce qu’elle n’est pas fâchée avec le style français, qu’elle donne aux deux personnages une noblesse d’héroïnes tragiques, qu’elle peut parfois être très émouvante, comme dans la mort de Didon. Jon Villars paraît lui aussi éprouvé dans un rôle où il faudrait un Roberto Alagna – les Parisiens ne reconnaissent guère le Bacchus de l’Ariane à Naxos d’il y a trois ans. Handicapé par une émission sans souplesse et en arrière, il peine à souder ses registres, arrache presque tous ses aigus, doit détimbrer complètement quand il veut nuancer. Mais cela vaut mieux que pas de nuances du tout et le duo mythologique est chanté piano – au point que les deux voix semblent fondues dans l’orchestre. Franck Ferrari est, à tout point de vue, très mal à l’aise en Chorèbe, court de voix, pâteux d’articulation, très inférieur au Narbal de Kwangchul Youn – dont on souhaiterait cependant les graves plus profonds. Erreur totale de distribution, en tout cas, avec l’Anna d’Elena Zaremba, plus incompréhensible que tout le monde réuni, qui chante la sœur de Didon comme elle chanterait Kontchakovna du Prince Igor, et dont on n’entend, dans les duos, que le vibrato démesuré. Les seconds rôles sont parfois les mieux tenus, à commencer par le Iopas d’Eric Cutler, déjà remarqué dans Marie Stuart à Genève, superbe de timbre, de nuances et de phrasé. Et il n’est pas de Troyens sans chœur : celui de l’Opéra est magnifique.



Didier van Moere

 

 

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