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L'opéra vu de loin

Strasbourg
Cité de la musique et de la danse
10/08/2006 -  


Kaija Saariaho : L’Amour de loin, version de concert

Pia Freund (Clémence), Anna Stephany (le Pèlerin), Jaako Kortekangas (Jaufré Rudel), Young Janacek Philharmonic, Chœur du CNR de Strasbourg, Jan Latham-Koenig (direction)

L’édition 2006 du Festival Musica, ouverte par de prodigieux Gurrelieder (lire ici, s’est achevée sur une thématique à nouveau médiévale. Mais il s’agit cette fois d’un Moyen Âge plus raffiné, celui du troubadour Jaufré Rudel, amoureux d’une bien-aimée lointaine qu’il ne connaît que par ouï-dire. Epuisé par le voyage qui le mènera jusqu’à l’élue de ses rêves, Rudel mourra dans les bras de cette femme aimée, juste après l’aveu mutuel d’une passion à jamais virtuelle, condamnée à rester un «Amour de loin».


Sur ce livret bien découpé et relativement économe d’Amin Maalouf, Kaija Saariaho a composé une musique envahissante, qui force les chanteurs à maltraiter leurs lignes vocales complexes. L’orchestre très diversifié et divisé étale en permanence des nappes sonores subtilement colorées et ombrées, qui ont pour principal inconvénient de n’avoir pas de véritable ressort dramatique à faire valoir, ni dans leur relation au texte, ni même dans la théâtralisation du geste instrumental. On a l’impression d’un très beau et minutieux travail d’enluminure, mais dont les couleurs subtiles et les arabesques volent finalement la vedette au sujet qu’elles sont pourtant censées mettre en valeur. La prosodie, parfois fautive, laisse croire à de simples erreurs d’interprétation, alors qu’il s’agit sans doute du fruit de recherches élaborées, mais dont la logique échappe. Quant à l’écriture vocale proprement dite, elle est agréablement lyrique (ni sprechgesang, ni vocalises erratiques), fondée sur un certain nombre de sauts d’intervalles récurrents maniés avec sensibilité, mais le rapport avec la masse orchestrale et chorale reste mal géré, le contexte sonore dévidé par l’orchestre et le chœur ne donnant presque jamais l’impression de «porter» efficacement les voix, mais simplement de mettre en place un environnement.


L’actualité récente ayant vu la création mondiale d’Adriana Mater, second essai lyrique où ces défauts ont été semble-t-il beaucoup mieux gérés, il était de toute façon intéressant de réévaluer cette première tentative, qui a remporté un succès honorable lors de sa création en 2000 au Festival de Salzbourg. Or un certain recul ne permet pas davantage de se convaincre de la validité de cet «opéra», douillettement noyé dans son camaïeu de sonorités chaudes teintées d’or. Quant aux discrètes instillations de tournures médiévales dûment revisitées, elles font déjà figure de concessions à des modes d’hier (pour une «Frühe Musik» empiriquement reconstituée) susceptibles de très mal vieillir. De toute façon, encore bien davantage que dans un répertoire lyrique plus habituel, on reste ici largement tributaire du format des interprètes, qui devront s’investir à fond, pour compenser les déséquilibres d’une écriture qui peine à mettre les voix en valeur. Un ouvrage pour festivals de luxe avant tout, et sans doute davantage une sorte d’oratorio ou de cantate dramatique qu’un opéra.


Reste le confort de l’écoute et le vrai plaisir que dispense continuellement ce travail très voluptueux du son orchestral, atout finalement non négligeable voire rarissime dans les essais lyriques contemporains. Et l’on peut compter sur Jan Latham-Koenig, à la tête d’une remarquable formation de jeunes instrumentistes triés sur le volet, pour restituer cette partition subtile avec une extrême minutie. Les solistes en revanche, excepté le Pèlerin très serein d’Anna Stephany, sont à la peine. Et en particulier Pia Freund, pourtant très engagée et souvent émouvante, mais qui bataille douloureusement avec le texte. Bonne mise en espace sonore, à laquelle la compositrice présente sur place a sans doute veillé personnellement, avec néanmoins quelques saturations pénibles dans une salle trop petite (le nouvel auditorium de la Cité de la Musique de Strasbourg, salle flambant neuve d’environ 500 places, confortable mais sans originalité architecturale particulière, et dont la jauge risque vite de s’avérer trop réduite pour ce genre de manifestation).



Laurent Barthel

 

 

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