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L’orgue d’Eben Paris Cathédrale Saint-Louis des Invalides 09/17/2006 - Petr Eben : Hommage à Buxtehude (*) – Missa Adventus et Quadragesimæ (#) – Deux chorals-fantaisies (*) – Okna (#) – Krajiny patmoske (&)
Pascal Clarhaut (trompette), Alain Huteau (percussion), Ensemble Magnus liber, Pascal Bezard (direction), Philippe Brandeis (&), Susan Landale (#), Vincent Rigot (*) (orgue)
Il y a une musique tchèque après Martinu et l’orgue de ces cinquante dernières années ne se limite pas à Messiaen: c’est le moins que les spectateurs auront pu retenir d’un passionnant hommage rendu à Petr Eben dans le cadre de la saison musicale du Musée de l’armée et sous l’égide du Centre tchèque, toujours aussi dynamique dans son effort de diffusion de la culture de ce pays.
Agé de soixante-dix-sept ans, Eben a en effet édifié, bien qu’étant pianiste de formation, l’un des corpus contemporains les plus importants destinés à l’orgue, fondé sur une écriture très solide, le recours à des techniques traditionnelles et un langage qui, sans être avant-gardiste, appartient indéniablement à notre temps tout en s’inscrivant dans un contexte tonal. Et, comme chez de nombreux autres compositeurs, cet instrument si intimement lié à l’église est au service d’une profonde foi catholique, qu’un internement à Buchenwald n’a nullement entamée. Un nombreux public était venu assister à ce concert monographique, même si, en raison des Journées européennes du patrimoine, le défilé incessant de visiteurs et autres conversations ou cris d’enfants ne contribuaient pas à des conditions optimales d’écoute.
Les trois co-titulaires du grand orgue (de facture contemporaine, Beuchet-Debierre 1955-1957) de la cathédrale Saint-Louis des Invalides se succédaient pour offrir différents aspects de l’œuvre d’Eben. A Vincent Rigot revenaient ainsi trois pages virtuoses. Au-delà de la révérence aux formes baroques, Hommage à Buxtehude (1987), écrit pour les célébrations du trois cent cinquantième anniversaire du compositeur, s’ouvre sur un prélude animé par une dynamique digne de Martinu, suivi notamment de deux fugues, la première, avec ses notes répétées, rappelant Messiaen tandis que la seconde évoque le propos froid et imperturbable d’un Hindemith. Sombres et chromatiques, les Chorals-fantaisies (1972) ont été conçus pour le concours du Printemps de Prague: le premier s’achève toutefois sur une péroraison grandiose qui ramène le thème du choral N’oublie jamais, ô homme, que la mort emporte tout; le second, issu d’une improvisation in memoriam Jan Palach, qui s’était immolé en 1969 pour protester contre l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie, est fondé sur l’antique choral invoquant Saint Wenceslas, patron de la Bohème.
Susan Landale, spécialiste réputée de la musique d’Eben, accompagnait d’abord l’ensemble choral Magnus liber dans la Missa Adventus et Quadragesimæ (1952): peu développée (un quart d’heure, sans Gloria mais avec un Offertorium), cette partition de «jeunesse» – Eben était encore étudiant – ne recourt qu’à un chœur d’hommes à l’unisson, d’où se détachent brièvement deux solistes dans le Credo. Elle frappe néanmoins par un style déjà vigoureux et expressif, en particulier dans un superbe Sanctus, né des profondeurs de l’orgue, en contraste avec un Benedictus quasi sulpicien.
L’organiste écossaise formait ensuite un duo avec Pascal Clarhaut, deuxième trompette solo à l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, démontrant que la célébrité des quatre Vitraux (1976), inspirés par la représentation des tribus d’Israël par Chagall que l’on peut voir à Jérusalem, n’est en rien usurpée: agilité de la trompette sur un accompagnement riche et fluide dans le Vitrail bleu (Ruben), atmosphère poétique et mystérieuse du Vitrail vert (Issacar), éclat du Vitrail rouge (Zabulon) et solennité du Vitrail or (Lévi), dont la première partie superpose de façon étonnante un thème lyrique à la trompette au choral liminaire de l’Ouverture «1812» de Tchaïkovski, énoncé par l’orgue.
Enfin, Philippe Brandeis s’associait au percussionniste Alain Huteau pour constituer une formation aussi rare qu’efficace, celle que requièrent les Paysages de Patmos (1984). Répondant à une commande marquant le trois centième anniversaire de Bach, ces cinq pièces structurées en arche portent un titre qui n’est qu’en apparence dépourvu de connotations religieuse, car il fallait encore, voici pourtant une vingtaine d’années seulement, se jouer de la vigilance des autorités. Mais il n’en s’agit pas moins ici de «regards» sur l’Apocalypse rédigée par l’évangéliste Jean sur sa terre d’exil, l’île de Patmos. L’ensemble, par sa puissance et sa naïveté (les temple blocks imitant le bruit des sabots), par sa subtilité et ses registrations hautes en couleur, par ses soli alternés dans le deuxième volet (Paysage avec les vieillards), fait souvent penser à Messiaen et se conclut sur une très spectaculaire vision des quatre chevaux de l’Apocalypse, dans laquelle le Dies iræ tourne à l’obsession avant que le Victimæ paschali laudes, porteur d’espoir, ne l’emporte finalement.
Simon Corley
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