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Pleyel rime avec Ravel Paris Salle Pleyel 09/15/2006 - Maurice Ravel : Boléro – Tzigane – La Valse – Daphnis et Chloé
Svetlin Roussev (violon)
Chœur de Radio France, Martino Faggiani (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Radio France, Myung-Whun Chung (direction)
Après l’Orchestre de Paris et Christoph Eschenbach (voir ici), c’était au tour de l’Orchestre philharmonique de Radio France, seconde formation de la capitale en résidence Salle Pleyel, et de son directeur musical, Myung-Whun Chung, d’en découvrir la nouvelle configuration. Ce premier concert d’une saison qui offrira une brillante succession de chefs (Paavo Berglund, Paavo Järvi, Armin Jordan, Msistlav Rostropovitch, …), de solistes (Aldo Ciccolini, Emmanuel Ax, Vadim Repin, Maxim Vengerov, …) et de voix (Olga Borodina, Ben Heppner, Anne Sofie von Otter, Patricia Petibon…), marquait en même temps l’ouverture d’un cycle «Ravel, Paris, Pleyel» qui se prolongera jusqu’au 9 mars: davantage que la symphonie de Mahler choisie pour la réouverture, ces cinq soirées renvoient au passé d’une salle dont le concert inaugural, le 18 octobre 1927, s’était conclu par La Valse, sous la baguette du compositeur, qui y dirigea également, le 14 janvier 1932, la création de son Concerto en sol avec Marguerite Long.
Ce copieux programme intégralement ravélien, qui offrait une large palette de configurations – (très) grand orchestre, pièce concertante, chœur (parfois a cappella) – permettant de continuer à évaluer – en l’espèce, une fois de plus, depuis le second balcon – les améliorations apportées à l’acoustique, débutait curieusement par le Boléro (1928), généralement réservé à de brillantes conclusions. C’est d’emblée la confirmation que rien ne peut désormais échapper à l’auditeur de Pleyel, y compris la moindre imperfection, de telle sorte que les artistes travaillent plus que jamais à découvert, sans filet, et que même les voix secondaires ne sont plus à l’abri. Cela étant, les premiers pupitres, que Chung fait saluer successivement selon leur ordre d’apparition, de la flûte jusqu’au trombone, s’en sortent bien, à commencer par Jérôme Voisin, amené à prendre la succession des bons et loyaux services de Robert Fontaine, clarinette solo depuis la fondation de l’orchestre, voici trente ans. Quant à Chung, il donne de ce Boléro une lecture plus chantante et festive que démoniaque ou inéluctable, ménageant toutefois une progression bien menée (et sans doute aussi une légère accélération).
Tzigane (1924) offrait ensuite l’occasion d’entendre longuement un instrument soliste, ici Svetlin Roussev, premier violon solo, plus sage et sérieux que cabotin. Du point de vue sonore, l’expérience se révèle concluante, aussi bien dans le monologue initial, qui se déploie sans effort, que dans le dialogue concertant, parfaitement équilibré.
Dès l’introduction de La Valse (1920), si souvent réduite à un infâme grognement, c’est un formidable luxe de détails qui se dévoile, comme si la partition avait été décapée d’une couche opacifiante, mais sans pour autant empêcher la fusion des différents timbres. Décidément, à Pleyel, les grands classiques vont prendre un coup de jeune, bénéficiant plus particulièrement à des orchestrations aussi riches et raffinées que celles de Mahler ou de Ravel. Cela étant, les tutti, si frappants de clarté la veille dans Mahler, bénéficient d’une définition moins nette, ce que l’on pourra peut-être attribuer au fait que les musiciens du «Philhar’» ont sans doute disposé de moins de temps que leurs collègues de l’Orchestre de Paris pour se familiariser avec le lieu. Entre panache et élégance à la limite du maniérisme, Chung mène la danse, de l’apothéose à l’apocalypse.
Depuis son retour à Paris, le chef a réservé une place importante au répertoire français (Debussy, Ravel, Messiaen), mais il entretient apparemment une relation particulière avec Daphnis et Chloé (1912), qu’il a déjà interprété en janvier 2003 au Théâtre des Champs-Elysées (voir ici) et qu’il vient de publier chez Deutsche Grammophon. Haute en couleur, narrative et dramatique, sa vision semble avoir évolué vers une expression plus «russe» que «française», comme s’il s’attachait à inscrire la partition dans cette évolution qui, au début du siècle dernier, mène de Rimsky à Stravinsky. Privilégiant les contrastes et les excès, plus suave et spectaculaire que magique, il convainc davantage dans la violence de la Danse guerrière ou dans la sécheresse péremptoire de la Danse générale finale.
Impitoyable, l’acoustique suscite le jeu des comparaisons, trahissant, malgré les prestations toujours aussi remarquables de Magali Mosnier (flûte) ou de Stéphane Suchanek (cor anglais), une finition moins aboutie que celle obtenue par l’Orchestre de Paris lors de l’inauguration, tandis que le Chœur de Radio France, flanqué, dans les gradins de fond de scène, de quelques spectateurs visiblement ravis de cette cohabitation inhabituelle, n’est pas beaucoup plus à son avantage que celui de l’Orchestre de Paris. L’accueil enthousiaste du public n’en conduit pas moins à bisser la Danse générale.
Simon Corley
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