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Le Mozart sans concession de Rudolf Buchbinder Salzburg Grand Festspielhaus 07/28/2006 - Wolfgang Amadeus Mozart : Fantaisie en ré mineur, Sonate K. 332, Sonate K. 333, Variations sur "Ah, vous dirai-je, maman" ; Franz Liszt : Réminiscences de Don Juan. Rudolf Buchbinder, piano. C’est la tradition : quatre récitals de piano chaque été dans le grand Festspielhaus de Salzbourg, dont deux sont invariablement ceux de Maurizio Pollini et d’Alfred Brendel, que les festivaliers, connaisseurs ou non, s’en voudraient de manquer. Du piano quatre étoiles, comme on dirait à Paris. Se voir offrir un récital dans un tel cadre et dans un tel voisinage constitue donc un signe d’élection dont Rudolf Buchbinder, déjà invité en 2004, et Andras Schiff mesurent certainement le prix – c’est d’autant plus intéressant pour nous que les organisateurs de concerts parisiens auraient peut-être – ou sans doute – fait d’autres choix.
Rudolf Buchbinder, en tout cas, n’a pas déçu dans son récital, organisé évidemment, en cette année 2006, autour de Mozart. Buchbinder est un parfait représentant d’une certaine école disons germanique, qui, se méfiant des abandons flamboyants, privilégie avant tout la concentration, la gravité, le sens de la forme. Rien d’étonnant si la Fantaisie en ré mineur paraît tendue, tragique, presque violente, sans que le passage en majeur apporte la moindre détente ou la moindre lumière. Chaque note est pensée, pesée, chargée d’intention – ce qui, loin de toute affectation, rend la musique encore plus intense. La Sonate en fa majeur K. 332 confirme cette première impression, avec un finale très rapide, rien moins que jubilatoire, tenant quasiment de la course à l’abîme, annonçant presque – à cause de la tonalité, même si elle est ici majeure ? - les fureurs de l’Appassionata beethovénienne. Dans l’Allegro initial de la Sonate en si bémol K. 333, le pianiste fait d’abord ressortir les accidents mélodiques et harmoniques, alors que l’Andante cantabile témoigne une fois de plus du souci constant de la clarté polyphonique, avec une main gauche très éloquente. Joué pour le coup dans un tempo plutôt modéré, l’Allegretto n’est guère gracioso, à l’image de ce Mozart sombre, dépouillé des grâces enrubannées de la galanterie rococo. Les Variations sur « Ah, vous dirai-je, maman" perdent tout caractère décoratif ; rien n’y est laissé au hasard – là encore la main gauche joue pleinement son rôle – et elles anticipent sur les grandes œuvres de la maturité.
Les Réminiscences de Don Juan justifiaient la présence de Liszt dans ce programme mozartien. Rudolf Buchbinder, s’il n’a pas la virtuosité éblouissante de certains de ses confrères, n’en fait pas moins preuve d’une étonnante sûreté digitale. Son Liszt peut surprendre : pas de folie, pas d’épanchements belcantistes non plus, mais des élans souverainement contrôlés, qui n’empêchent pas de suggérer les tourments de l’enfer ou les joies de l’eros. On n’est pas du côté d’Horowitz ou de Cziffra. Le pianiste entretient en tout cas avec Liszt d’évidentes affinités : il lui emprunte ses deux bis, l’arrangement de « Widmung » de Schumann, puis la Paraphrase sur Rigoletto, où l’on croit entendre, au milieu du crépitement des notes, les voix du fameux Quatuor.
Didier van Moere
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