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Sans les chaussures… Strasbourg Opéra du Rhin 06/16/2006 - Samuel Barber : Hermit Songs
Toivo Kuula : Mélodies
Erkki Melartin : Mélodies
Oskar Merikanto : Mélodies
Leevi Madetoja : Mélodies
Hugo Wolf : extraits du Spanisches Liederbuch
Enrique Granados : La Maja y el Ruisenor
Joaquin Turina : Poema en forma de canciones
Karita Mattila (soprano), Martin Katz (piano)
Karita Mattila ne s’en est jamais cachée : elle adore les jolies chaussures, de préférence à talons filiformes et très hauts, qui lui donnent en concert cette démarche altière mais prudente que l’on reconnaît instantanément, et qui font monter sa stature déjà conséquente jusqu’à des sommets sans concurrence. Une coquetterie qui expose à quelques revers. On se souvient l’an dernier au Felsenreitschule de Salzbourg, l’une des scène les plus larges au monde, d’une série de rappels où le public la contraignit à un véritable marathon sur talons aiguilles… Quant à ce récital strasbourgeois, il a failli commencer par une chute, suite à un talon coincé entre deux lattes de plancher. L’ambiance torride de l’Opéra du Rhin ce soir-là (au sens propre du terme seulement : le bâtiment n’est toujours pas doté d’une climatisation fonctionnelle) contribuant par ailleurs à un rapport très décontracté avec le public, auprès duquel la diva se plaint plusieurs fois de la touffeur ambiante avec force gestes et mimiques réjouissantes, avant de s’excuser à un moment donné, le temps d’aller boire un grand verre d’eau en coulisses. A mesure que la soirée avance il semble faire de plus en plus chaud, ce qui sert de prétexte à un changement de robe mais surtout à un ultime délaçage de chaussures, pour une fin de concerts pieds nus (presque une habitude chez Mattila, mais ici évidemment encore plus justifiée que d’ordinaire).
Bien que la salle ne soit que partiellement remplie (les récitals vocaux n’attirent pas les foules, pas plus à Strasbourg qu’ailleurs, encore que ce soir-là la jauge reste correcte, au moins du fait de la renommée de la chanteuse invitée) Karita Mattila semble prendre en tout cas un vrai plaisir à mettre le public dans sa poche, à lui rappeler au cours d’un long discours, dans un français approximatif mais délicieux, qu’elle retrouve avec grand plaisir ce théâtre où elle a chanté sa première Fiordiligi, il y a déjà vingt ans… avant de se lancer, après un mélancolique Zigeunerlied de Dvorak (excentriquement annoncé : « oui, mais… puisque c’est « Gipsy », par pitié, sans les chaussures !»), dans deux autres bis délirants : une mignonne appropriation de Tonight de West side story, sans accompagnement, et enfin une Chanson à boire finlandaise complètement déjantée.
Voilà pour le folklore, qui ne doit pas occulter la qualité d’un récital subtilement composé, et à vrai dire d’une accessibilité pas évidente, au moins sur le papier. Quatre langues différentes, plusieurs compositeurs rares, pour un tour d’horizon de la Mélodie post-romantique qui sait trouver dans chacune des écoles nationales sollicitées des pièces idéalement accordées à la vocalité de l’interprète. Avec toutefois un doute sur la pertinence du choix des atypiques Hermit Songs de Barber pour un début de programme. En dépit de leur diversité ce ne sont pas des pièces faciles d’accès pour le public, et il n’est possible de leur donner leur vrai relief que sous réserve d’une certaine emphase décalée, parfois plus proche de la théatralité du music-hall de Broadway que de la Mélodie de salon. Thomas Hampson, par exemple, chante remarquablement bien ces textes, que Karita Mattila a tendance à réduire à un continuum un peu trop lisse, où l’articulation se perd.
C’est d’ailleurs un peu le défaut de l’ensemble de la soirée, pour une chanteuse qui a toujours privilégié la mise en valeur d’un timbre d’une luminosité et d’un moelleux exceptionnels au détriment de la précision de l’articulation. Mais l’équilibre est mieux respecté dans de remarquables Lieder de Wolf et même dans d’exotiques Mélodies espagnoles. Particulièrement bien choisis, les Wolf dispensent ici leur étrangeté harmonique post-wagnérienne avec une exceptionnelle clarté (admirable lisibilité du piano de Martin Katz, jamais pris en défaut), que l’inépuisable palette de couleurs de la voix rehausse sans surcharge. Quant aux Mélodies peu connues de ses compatriotes finlandais que Karita Mattila a tenu à inscrire à son programme, la chanteuse s’y coule évidemment avec une suprême aisance, même si de temps à autre la voix s’y révèle moins docile et un peu plus hétérogène dans l’aigu qu’il y a encore dix ans. Ne pas s’attendre forcément ici à des musiques des grands espaces nordiques, de la même intensité que les créations sibéliennes : plutôt de la très bonne musique de salon, dont la coloration scandinave n’est guère plus accusée que chez Grieg, et qui avec Madetoja vient se colorer de tournures harmoniques parfois un peu trop racoleuses. En tout cas, l’ordonnancement de ces pages finlandaises est subtilement agencé, du plus serein au plus tendu, avec les grands écarts straussiens de Madetoja pour terminer. Effectivement, avant de s’y lancer… mieux valait avaler un grand verre d’eau !
Laurent Barthel
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