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Le sacrifice d’Iphigénie!

Paris
Opéra Garnier
06/08/2006 -  et 11, 15, 18, 21, 23, 26, 28 juin et les 1, 4, 7, 10 juillet 2006
Christoph Willibald Gluck : Iphigénie en Tauride
Susan Graham/Maria Riccarda Wesseling (Iphigénie), Russell Braun (Oreste), Yann Beuron (Pylade), Franck Ferrari (Thoas), Salomé Haller (Diane)
Chœur et Orchestre Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors, costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin (vidéo), Saar Magal (chorégraphie)


Mais qu’ont bien pu faire Iphigénie et Gluck à Krzysztof Warlikowski? C’est ce que l’on peut se demander en assistant à cette nouvelle production de la tragédie de Glück! La mise en scène brille par sa laideur et son inutilité alors que la direction de Marc Minkowski est somptueuse et que les chanteurs rivalisent d’élégance et de beauté vocales.


Iphigénie dans un hospice? C’est exactement ce que cherche à décrire Krzysztof Warlikowski. La “malheureuse Iphigénie” se retrouve vieillie dans une maison de retraite aux murs délabrés, sales, avec des lavabos et des douches. Elle est dans un dortoir, entourée de vieilles dames aux regards égarés et perdus, proches de la mort, qui font des aller-retour du fond de la scène au devant de la scène. Elle est censée se remémorer sa jeunesse et ce sont donc deux Iphigénie qui se trouvent sur scène: une Iphigénie chantante en rouge et une Iphigénie mime en tailleur doré à la perruque démentielle! Krzysztof Warlikowski ne semble pas vraiment avoir d’autre projet que celui-ci car la suite de la soirée ne laisse pas entrevoir un semblant d’histoire. Le ballet, grotesque dans tous les sens du terme, des pensionnaires de la maison de retraite gâche le beau moment instrumental et les “danseurs” évoluent au milieu d’hommes et de femmes “dans le plus simple appareil”. Il insiste toutefois sur le meurtre de Clytemnestre avec une scène de viol et plusieurs simulations de meurtres, tout cela dans un climat très désagréable et violent (de la violence gratuite). Krzysztof Warlikowski n’est pas d’une grande originalité: lorsque le public entre dans la salle de Garnier, il se retrouve face à face avec un écran métallique, sorte de miroir: cet écran servira de rideau pour séparer les actes. Il fait également intervenir les personnages dans le théâtre, ainsi Franck Ferrari se retrouve dans une loge sur le côté pour y être assassiné tandis que Yann Beuron et Russell Braun font une brève apparition au parterre. Chercher la signification…Et sans parler des ventilateurs au plafond qui sont plus qu’agaçants… Ce n’est pas cette pauvre Iphigénie qu’il faut enfermer dans cet asile mais bien le metteur en scène!!


Mieux vaut oublier cette ineptie théâtrale pour se concentrer sur la musique parce qu’elle est défendue avec panache et brillance par Marc Minkowski et ses chanteurs. Du somptueux disque paru il y a quelques années il ne reste que Yann Beuron alias Pylade. Susan Graham a dû annuler dans l’après-midi sa participation et c’est donc Maria Riccarda Wesseling (prévue pour les trois dernières représentations) qui assumera le rôle-titre. Cette jeune mezzo remporte un triomphe bien mérité car elle apporte une fraîcheur au personnage et un engagement scénique (au-delà de la mise en scène) tout à fait remarquable. Certes elle n’a pas le velours ni la grâce vocale de Susan Graham mais sa voix, assez fine et pas toujours très puissante, est agréable à écouter: harmonieuse et lumineuse surtout dans les aigus: dans “o toi qui prolongeas mes jours”, ses notes sont pareilles à des grappes de perles. Elle développe le personnage, non seulement à travers ses gestes, mais aussi à travers les couleurs de sa voix car si elle utilise des notes plutôt pures au début de l’opéra, elle grossit ses graves ensuite et elle les rend plus tragiques. La chanteuse vit corps et âme le rôle notamment dans le récit au début de l’opéra, “cette nuit j’ai revu le palais de mon père…”, où elle se montre saisissante de vérité. De même dans l’air du quatrième acte “je t’implore et je tremble”, elle est très inspirée et son regard est égaré. L’orchestre se montre très agressif dans ce passage ce qui sous-tend bien son intention dramatique. L’interprétation de Maria Riccarda Wesseling est d’autant plus réaliste que sa prononciation est très bonne.


La voix de Yann Beuron ne cesse d’embellir. Dans Platée il y a quelques semaines on avait pu noter des progrès sensibles et dans cette oeuvre de Gluck, il est parfaitement à l’aise (peut-être encore plus que dans l’enregistrement) pour camper un Pylade délicat, douloureux et surtout très vrai. Son air “unis dès la plus tendre enfance” est un grand moment musical et il distille chaque note, chaque inflexion avec une élégance bien particulière. Il forme un beau duo avec Oreste, lui aussi tout autant tourmenté. Il a bien du mérite à émettre des sons aussi purs “Quel silence” et aussi beaux car le metteur en scène l’oblige, comme les autres chanteurs, à se contorsionner dans des positions pas forcément idéales pour le souffle (par-terre, accroupi, allongé…). Il n’empêche qu’il exécute avec aplomb le “Divinité des grandes âmes” au troisième acte et qu’il donne une leçon de diction, de nuance et surtout de musique.


Russell Braun a bien écouté Simon Keenlyside, c’est le moins que l’on puisse dire (à de fréquents moments, on croit entendre la voix du baryton anglais). Il se sort très bien de la partition et sait se montrer sensible, doux dans les duos avec Yann Beuron dans lesquels ils expriment leur amitié mais également impétueux dans “dieux qui me poursuivez” au deuxième acte. Il est bien meilleur dans les airs plus vifs que dans les passages plus déclamatoires.


Franck Ferrari met sa grosse voix au service de Thoas et il a un peu de mal à faire oublier Laurent Naouri. Toutefois il est excellent dans ses quelques interventions notamment quand il fait sonner de “noirs pressentiments”. Le pauvre chanteur se déplace en fauteuil roulant (du déjà vu...) et il a une main paralysée... Il impose toutefois son personnage grâce à un chant bien contrôlé et une aisance dans le phrasé.


Salomé Haller est une Diane sans grand reflet, elle se limite à chanter sa partie depuis la fosse sans beaucoup d’inspiration.


Le grand triomphateur de la soirée est, bien sûr, Marc Minkowski. Chaque note est une merveille et ses tempi, ses accents, ses inflexions et son legato contribuent à raconter une histoire. Dès l’Ouverture, le tempo lent provoque un contraste saisissant avec le destin tragique qui se met en marche et la légèreté du début fait place à une tempête bruyante, presque effrayante tellement les instrumentistes sont lancés dans un rythme fougueux. Dans l’air d’Oreste “le calme rentre dans mon cœur”, l’orchestre se fait insistant, et Minkowski fait peu à peu monter la tension. Le plus magique passage reste la fin du deuxième acte où il laisse peu à peu mourir la musique. Le choeur ne mérite aussi que des éloges.


Au sortir de cette représentation, plusieurs questions viennent à l’esprit: pourquoi les metteurs en scène actuels s’évertuent-ils à gâcher de si belles œuvres en y incluant leurs fantasmes ou leurs lubies ? Pourquoi quittons-nous Garnier non pas transportés par un opéra de Gluck magnifiquement interprété mais perturbés par des images de vieilles femmes, d’hommes nus?... Il faut malheureusement, dans les temps qui courent, faire abstraction de ce qu’il y a sur scène et se contenter (ce qui n’est déjà pas si mal...) de la Musique et des Musiciens. C’est à travers eux que Gluck va revivre soir après soir et non pas à travers des images sordides et complètement inutiles!


A noter:
- Marc Minkowski avait enregistré cette œuvre en 2001 avec Mireille Delunsch, Yann Beuron, Simon Keenlyside, Laurent Naouri... chez Archiv.
- Susan Graham a déjà chanté ce rôle au festival de Salzbourg en 2000 où elle était entourée de Thomas Hampson, Paul Groves, etc. chez Orfeo.



Manon Ardouin

 

 

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