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Le festin de Colonne

Paris
Salle Gaveau
06/06/2006 -  
Bohuslav Martinu : Ouverture, H. 345
Johannes Brahms : Concerto pour violon, opus 77
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 (Adagietto)
Albert Roussel : Le Festin de l’araignée, opus 17

Henning Kraggerud (violon)
Orchestre Colonne, Laurent Petitgirard (direction)


Quatre-vingt-dix (bonnes) minutes de (bonne) musique, une ambiance qui, à l’heure où l’on n’a de cesse de vilipender le «rituel du concert», tranche sur la raideur habituelle de la capitale (un directeur musical et un premier violon qui se transforment occasionnellement en régisseurs, des artistes qui n’hésitent pas à reprendre en bis un morceau dont ils ne sont pas satisfaits, des applaudissements entre les mouvements) et, surtout, un tarif unique à 10 €, celui d’une place de cinéma sur les Champs-Elysées voisins: l’Orchestre Colonne n’est certes pas la Philharmonie de Berlin, mais c’est une longue file de spectateurs qui n’en aurait pas moins dû s’étirer jusqu’à Saint-Augustin pour profiter d’une telle aubaine. Hélas, en ce mardi soir où la concurrence n’est pourtant guère aiguë à Paris, le public n’est pas même parvenu à remplir la Salle Gaveau.


En 2006-2007, des programmes toujours aussi plantureux, réservant à nouveau une place de choix à toutes les musiques françaises d’aujourd’hui (Bacri, Campo, Decoust, Dusapin, Escaich, Greif, Mâche, Nigg, Petitgirard), de prestigieux solistes (Elisabeth Chojnacka, David Guerrier, Gary Hoffmann, Kun-Woo Paik, Régis Pasquier, Gabriel Tacchino) et de précieux efforts à destination des mélomanes de demain («concerts éveil») trouveront-ils enfin l’affluence qu’ils méritent? Car il faudra notamment, à trois reprises, parvenir à remplir la Salle Pleyel…


Pour le dernier concert de cette cent trente-troisième saison, l’Ouverture (1953) de Martinu débutait dans un climat adapté à une douce soirée printanière, même si le Tchèque ne force pas son talent dans ce bref (sept minutes) pastiche écrit en six jours (!), d’esprit néoclassique tant par son langage que par sa forme tripartite ou par sa mise en valeur d’un concertino de cordes et bois solistes, le tout robustement enlevé par Laurent Petitgirard.


Bien que venu du nord, Henning Kraggerud maintient une atmosphère résolument ensoleillée dans le Concerto pour violon (1878) de Brahms. S’il n’arrive pas précédé d’une notoriété incontestable, de prix éclatants, de disques unanimement célébrés et d’engagements mirobolants, le violoniste norvégien, âgé de trente-trois ans quoiqu’en paraissant dix de moins, n’en possède pas moins à son actif des enregistrements chez Naxos et a déjà joué avec des artistes tels qu’Andsnes, Argerich ou Kovacevich. Il dispense ici une prestation de grande qualité, avec des traits presque impeccables, un beau legato et une puissance impressionnante, qui reçoit une réplique à la fois attentive et vigoureuse de l’orchestre. Physique et engagée, radieuse et jubilatoire, son approche chante généreusement, tendant vers un sentimentalisme un peu extérieur qui évoque davantage Mendelssohn ou Bruch que Brahms, et traduit un plaisir de jouer qui peut parfois déraper, comme dans la cadence du premier mouvement, excessivement paganinienne.


Le traditionnel moment dévolu à la musique contemporaine française tourne court: il a fallu renoncer au trop rare Mystère de l’instant, initialement prévu, car «le matériel d’orchestre […] délivré [n’était] pas celui qu’Henri Dutilleux souhaite voir interprété par les orchestres symphoniques». Dont acte. D’aucuns s’en seraient tenus là, mais l’Orchestre Colonne a pris la peine de prévoir une œuvre de remplacement: alternative étrange – encore qu’elle soit destinée à un effectif instrumental assez comparable – l’Adagietto de la Cinquième symphonie (1902) se révèle bien plus qu’un hâtif rafistolage de dernière minute. Avec la harpe placée au centre des musiciens, Petitgirard, malgré un tempo très retenu, ne surjoue pas le texte et en donne au contraire une lecture d’une dignité et d’une pudeur rares, même si les cordes ne se montrent pas toujours à la hauteur du défi.


Avec Le Festin de l’araignée (1912), Laurent Petitgirard, en auteur de musiques pour le cinéma (Lacenaire) et, bien sûr, pour la télévision (Maigret), aura sans doute songé que l’on passait de Mort à Venise à Microcosmos: le peuple de l’herbe. Clin d’œil en même temps à Martinu, qui vint s’établir à Paris précisément pour y suivre l’enseignement du compositeur français, la programmation du ballet intégral valait à elle seule le déplacement, alors que même les Fragments symphoniques que Roussel en a tirés – faisant l’impasse sur toute la partie centrale de l’action – ont quasiment disparu de l’affiche. Colorée et narrative, la vision du chef prend au sérieux les tribulations de tout ce petit monde animal et rend ainsi justice à une partition d’un grand raffinement de textures et d’une mise en place redoutable: trente-trois minutes dans ce «jardin solitaire» déjà ravélien – celui de L’Enfant et les sortilèges, bien qu’exactement contemporain de Daphnis et Chloé – et, dans sa tendresse et sa cruauté mêlées, aussi peu réductible que la féerie de Colette à un simple conte pour la jeunesse.



Simon Corley

 

 

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