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(H)all stars Paris Théâtre Mogador 05/19/2006 - et 20, 21, 26, 27 et 28* mai Mireille : Quand un vicomte – Papa n’a pas voulu – Le vieux château – Les trois petits lutins
Francis Poulenc : La tragique histoire du petit René, FP 75 n° 2 – Nous voulons une petite sœur, FP 75 n° 1 – Le petit garçon malade, FP 83 n° 4 – Jouer du bugle, FP 157 n° 1 – Le petit garçon trop bien portant, FP 75 n° 3 – La Reine de cœur, FP 178 N° 3 – Toréador, FP 11 – Hôtel, FP 107 n° 2 – Le Disparu, FP 134 – Dernier poème, FP 163 – Fêtes galantes, FP 122 n° 2
Arthur Honegger : Chanson des quatre, H. 119 A
Darius Milhaud : La Java de la femme, opus 173b n° 2 – Sans feu ni lieu, opus 148b n° 3
Germaine Tailleferre : La Rue chagrin
Georges Auric : Moulin Rouge
Louis Durey : Le Chat, opus 17a n° 6
Serge Hureau (chant, mise en scène), Olivier Hussenet (chant), Cyrille Lehn (piano)
Jean Grison (lumières, décors), Dominique Bataille (son), Regina Martino (costumes)
Le hall du Théâtre Mogador a accueilli la reprise pour six représentations de «Music-hall d’immeuble», conçu et mis en scène en 2004 par Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson (Centre national du patrimoine de la chanson, des variétés et des musiques actuelles). L’immeuble en question, c’est celui du Palais Royal où habitaient notamment Cocteau, Colette et les époux Berl. Quant au «music-hall», c’est un espace situé aux confins de la mélodie classique, de la chanson enfantine et du cabaret, où l’on retrouve non seulement Mme Berl, alias Mireille, sur des textes de Jean Nohain («Jaboune»), bien sûr, mais aussi tous les membres du Groupe des Six, à commencer par Poulenc, sur des textes tour à tour burlesques, nostalgiques, réalistes, surréalistes, poétiques ou parodiques d’Aragon, Supervielle, Cocteau, Desnos, Max Jacob ou Maurice Carême.
Il est passionnant de voir comment ces compositeurs soit respectent le «cahier des charges» d’un style donné (blues, java, …), soit demeurent immédiatement reconnaissables, même dans des pièces peu ambitieuses (Poulenc dans Nous voulons une petite sœur, Milhaud dans Sans feu ni lieu). Mais la transition d’un genre à l’autre n’en reste pas moins imperceptible, de telle sorte que le mélange fonctionne à la perfection, et les soixante-quinze minutes de ce tour de chant pas comme les autres passent comme un éclair.
Pendant que le pianiste joue des extraits de Parade et du Bœuf sur le toit, c’est d’abord un intarissable dialogue à bâtons rompus, truffé de délicieuses approximations («Milhaud? Il a ses deux bras, pas comme la Vénus») et d’inévitables potins, entre deux concierges qui ont préalablement accueilli les spectateurs, l’une le balai à la main, leur intimant de s’essuyer les pieds sur le paillasson avant d’entrer dans le hall, l’autre passant l’aspirateur devant l’estrade. Suivent vingt-deux chansons, entrecoupées d’un pot-pourri allant de Christiné à Vincent Scotto en passant par Satie et Poulenc, et reliées entre elles par de brefs commentaires des deux pipelettes.
L’humour domine, mais le rire n’est jamais loin des larmes, car l’un des mérites du spectacle est de montrer comment l’univers de ces chansons, qui datent principalement des années 1930, se dissout dans la tragédie des années 1940: Le Disparu et Dernier poème, mais aussi Fêtes galantes évoquent cette issue fatale, et ce piano-jouet qu’on croirait sorti de chez George Crumb pour accompagner la boîte à musique qui s’éteint progressivement sur un bien nostalgique Moulin rouge crée in fine une atmosphère plus grave, où, avec le souvenir de Desnos ou Max Jacob, les pyjamas rayés des deux protagonistes acquièrent une toute autre signification.
Avec les deux «comédiens-chanteurs», non seulement on dispose d’acteurs qui savent camper un personnage ou à caractériser une situation en un geste ou une expression, non seulement on ne perd pas un mot de ce qui se chante – condition sine qua non de la réussite d’un tel programme – mais on bénéficie d’une prestation musicalement convaincante, juste dans la technique aussi bien que dans l’esprit. Goguenard et équivoque, Hureau, avec ses faux airs de Cocteau mais aussi de Darry Cowl dans Pas sur la bouche, use avec finesse des différences de timbres et de registres. S’il se voit confier les emplois plus «nobles», Olivier Hussenet se révèle cependant un lutin époustouflant (Les trois petits lutins, où il a en même temps l’occasion de démontrer son agilité au piccolo). Quant à Cyrille Lehn, il appartient à ces très rares pianistes capables d’exercer sans effort leur activité la tête ou les mains recouverts d’un drap…
Participent pleinement à ce succès les costumes de Regina Martino – deux commères plus vraies que nature, en pyjama, robe de chambre et foulard, tandis que l’accompagnateur apparaît sous les traits d’un petit matelot aux pommettes bien roses, tel un gamin qui aurait grandi trop vite – aussi bien que les décors de Jean Grison, qui règle par ailleurs les lumières et qui, avec deux bouts de ficelle – ou plus exactement un drap, un napperon ou un parapluie – parvient à suggérer beaucoup.
Simon Corley
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