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Don Carlos : la tentation française…

Strasbourg
Opéra du Rhin
05/20/2006 -  et, à Strasbourg, les 23*, 26, 31 mai, 3 et 6 juin à 19h, le 28 mai à 15h, à Mulhouse (La Filature) les 23 juin à 19h et 25 juin à 17h
Giuseppe Verdi : Don Carlos
Nataliya Kovalova (Elisabeth), Laura Brioli (Eboli), Andrew Richards (Don Carlos), Ludovic Tézier (Posa), Nicolas Cavallier (Philippe II), Sami Luttinen (Le Grand Inquisiteur), Günes Gurle (Un moine), Susanne Kirschech (Thibault), Alain Gabriel (Le Comte de Lerme), Ainhoa Zuazua Rubira (La voix du ciel)
Choeurs de l’Opéra National du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marco Guidarini (direction), Gustav Rueb (mise en scène, d’après un concept original de Christoph Loy), Herbert Murauer (décors), Bettina Walter (costumes)

Quelle version privilégier pour Don Carlo(s) ? Vieux problème... encore que l’on n’en ait pris conscience que progressivement, à mesure que de vrais scrupules musicologiques sont venus infléchir notre perception du répertoire lyrique du 19e siècle.


On s’est longtemps contenté de la version dite «italienne en quatre actes», d’une durée plus aisément gérable, à laquelle la version en cinq actes dite «de Modène» tend aujourd’hui à se substituer sur la plupart des scènes internationales. Or même si cette dernière mouture constitue effectivement un bon compromis entre viabilité scénique et mutilations frustrantes, force est d’y constater la persistance de quelques lacunes béantes, dont un final de 4e acte trop hâtivement expédié, et un tableau des Jardins de la Reine privé de la scène initiale pourtant indispensable à une compréhension claire de ce qui s’y passe (l’échange des déguisements entre Elisabeth et Eboli). Points de détails, certes, mais qui peuvent paradoxalement nuire à la stabilité de tout l’édifice, même monumental.


La tentation du recours à une version véritablement originale, telle que l’Opéra de Paris a pu la connaître lors de la création de l’œuvre en 1867, se heurte il est vrai, outre la démesure temporelle qu’elle implique, à d’éternelles arguties quand aux choix à effectuer, puisque les mutilations de l’ouvrage ont en fait déjà commencé au cours des répétitions. Les rares reprises modernes de cette soi disant «version originale» n’ont donc été de toute façon pour la plupart que des découpages subjectifs. Sans même parler de la préservation du ballet, indispensable pour restituer à ce Don Carlos son véritable aspect d’ouvrage à grand spectacle écrit pour la « grande boutique » parisienne, mais qu’il serait bien difficile d’imposer dans le cadre d’une représentation actuelle.


S’ajoute enfin le problème de la langue, pour un opéra devenu un pilier du répertoire italien, annexé par des voix traditionnellement « verdiennes », alors qu’il a été expressément pensé dans un style « français » relativement différent. Une préoccupation clé, sur laquelle cette production strasbourgeoise met opportunément l’accent. L’option retenue, certes artificielle, simple placage des paroles de l’original français sur la version plus tardive dite « de Modène », a au moins le mérite d’être simple dans sa mise en oeuvre et suffit à métamorphoser radicalement l’aspect de l’ouvrage. Réapparaît ainsi à peu de frais le véritable caractère d’un spectacle conçu pour se mesurer aux superproductions historiques de Meyerbeer et Halévy, non par simple opportunisme mais délibérément, dans le cadre d’un projet artistique cohérent.


Pour parachever la démonstration, une distribution stylistiquement irréprochable aurait été souhaitable, mais sans doute difficile à réunir aujourd’hui. L’Eboli désordonnée et vociférante de Laura Brioli serait peut-être supportable dans une version italienne privilégiant les décibels sur la subtilité. Mais ici, après une Chanson du Voile précautionneuse, le naufrage d’O don fatal et détesté donne simplement l’envie de fuir. Pour Nicolas Cavallier, passionnant Philippe II, le problème est inverse. L’expression française est d’une clarté extraordinaire, le personnage est crédible et minutieusement fouillé mais les dons naturels manquent de générosité : une voix trop courte dans le grave et parfois proche du parlando… des moyens limités qui disqualifieraient immanquablement un tel interprète dans une version italienne. Avec Ludovic Tézier, indiscutable triomphateur de la soirée, on s’approche davantage d’un certain idéal, sans pouvoir cependant compter sur l’engagement expressif éperdu et le vrai galbe de la phrase verdienne que l’on serait en droit d’attendre à ce niveau. Cela dit, si l’air de la prison n’émeut pas totalement, l’affrontement avec Philippe à la fin de l’Acte II est d’une tension extraordinaire. Pour le couple d’amoureux contrariés, la nécessité d’un compromis entre moyens lourds et élocution française donne des résultats assez probants pour l’Elisabeth de Nataliya Kovalova, prestation malheureusement assombrie par un aigu trop fixe qui se libère mal, et plus mitigés pour le Carlos risque-tout d’Andrew Richards, qui finira par casser ses moyens à force d’infliger autant de tension à son émission. Quant au Grand Inquisiteur de Sami Luttinen, seule l’intensité de son duel oratoire avec Philippe II rend acceptable sa prestation vocale, invariablement hideuse.


En fosse, la direction de Marco Guidarini ne peut qu’impressionner favorablement, a fortiori quand on connaît les impondérables de l’acoustique du théâtre de Strasbourg, en général fatale à toute approche trop timorée. Ici, indiscutablement, l’orchestre passe, les chanteurs ne sont pas noyés, et la cohésion des ensembles assurée. Quant à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, il apparaît motivé et à la hauteur du propos. Les chœurs, systématiquement défavorisés par une scénographie discutable, s’en tirent eux aussi fort bien. Pour le reste : détails, continuité du discours, subtilité des phrasés, fortissimi plus travaillés et moins clinquants… force est de constater que de multiples perfectionnements seraient souhaitables, mais peut-être ne sont-ils pas envisageables dans de pareilles conditions de travail.


Visuellement, au cours de cette soirée fort longue, on n’est que rarement à la fête. La production ou du moins le concept d’origine de Christoph Loy, récupérés à Düsseldorf et librement réinterprétés par Gustav Rueb, apparaissent d’une modernité tout au plus déjà éculée. A vrai dire, hormis certains éclairages intéressants dans les rapports humains, rien n’y fonctionne vraiment. On finit même par s’ennuyer ferme devant tant de laideur obstinément rabâchée sous prétexte d’un prétendu dépouillement salvateur, quand on n’est pas simplement irrité par la stupidité de ce que l’on s’entête à nous présenter comme des trouvailles (le dispositif scénique du tableau de l’Autodafé, totalement paralysant). Une production « décapante » paraît-il, mais dont le pouvoir d’abrasion semble ici bien tristement usé.



Laurent Barthel

 

 

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