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“Tragédiennes” Paris Théâtre des Champs-Elysées 05/16/2006 - Airs d’opéra de Lully, Rameau, Mondonville, Leclair… Véronique Gens (soprano)
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset (direction) Le temps d’un disque et de quelques concerts pour en faire la promotion, Véronique Gens retrouve un complice de longue date, Christophe Rousset, et le répertoire baroque avec Rameau, Lully, etc… La réussite est immense et la chanteuse reçoit un très grand triomphe amplement mérité vu la qualité vocale et expressive de chacune de ses apparitions.
Après avoir longtemps chanté les blanches bergères et les jeunes héroïnes un peu pâles de la tragédie lyrique française, Véronique Gens aborde maintenant les personnages principaux, à savoir les figures tragiques (Phèdre, Armide…). Depuis vingt ans, sa voix a beaucoup évolué et autant elle était claire, douce et agile au début de sa carrière, autant elle sait se faire sombre, douloureuse dorénavant, à la limite des couleurs d’une mezzo.
Le concert est construit avec intelligence puisque les artistes donnent à attendre de larges extraits d’une oeuvre et il ne s’agit pas d’une succession d’airs: l’air est mis en relief par des passages orchestraux tirés du même acte ou tout simplement du même opéra. Cette idée permet de davantage planter le décor de l’oeuvre exécutée et de mieux saisir le personnage incarné par Véronique Gens. La soirée débute par Armide de Lully et le fameux “Enfin il est en ma puissance!” que la chanteuse interprète avec passion. Chacune de ses phrases est tellement puissante théâtralement que les silences qu’elle fait durer longtemps semblent tout à fait éloquents (avant “quel trouble” par exemple). Elle n’hésite pas non plus à enlaidir sa voix pour la rendre plus juste dramatiquement quand elle dit “je le haïsse” à la fin du récitatif ou quand elle chante “épouvantable” ou bien “horreur”. Elle sait donner mille couleurs à sa voix dans les “démons” sombres et les “zéphirs” lumineux. Elle se tourne ensuite vers Campa le temps d’un air extrait du Carnaval de Venise. Ce long monologue est absolument poignant car Isabelle pleure son amant mort et elle demande à ses yeux de se fermer. La phrase “mes yeux, fermez-vous à jamais” revient à plusieurs reprises et Véronique Gens y ajoute une nuance supplémentaire à chaque fois et ceci sur une dynamique de moins en moins forte. Elle effectue aussi de douloureux crescendo sur les “larmes”. Christophe Rousset conduit un orchestre tout aussi pleurant et l’ensemble est très émouvant. Un large passage d’Hippolyte et Aricie conclut la première partie du concert. Véronique Gens a enregistré le rôle d’Aricie sous la baguette de Marc Minkowski au milieu des années 90 mais c’est à Phèdre qu’elle s’identifie maintenant. Elle transforme l’air “cruelle mère des amours” en une sorte de prière où elle peut dévoiler des graves somptueux (“grâces”) parallèlement à des aigus fort lumineux.
La seconde partie commence avec des extraits de Castor et Pollux dont le fameux air “Tristes apprêts”. Véronique Gens en fait une véritable merveille: elle l’interprète avec une sensibilité exacerbée et une musicalité à séduire tous les Enfers. Elle distille les mots un par un avec un crescendo sur toute la phrase et convoque la profondeur de sa voix sur “lugubre”. Elle instaure une tension palpable et c’est sans conteste le plus beau moment du concert. Elle reprendra cet air dans son troisième bis avec une nuance encore plus fine. Christophe Rousset lui tisse également un tapis de velours pour davantage augmenter sa volonté expressive. Il avait déjà planté le décor dans l’ouverture où il avait fait monter peu à peu la tension.
Ils exécutent ensuite l’air de Zaïde “Dieu des amants fidèles” de Pancrace Royer. Ce monologue est très tendu et ils le jouent sur un tempo assez rapide. Véronique Gens use des notes de poitrine dans le grave pour rendre son exhortation encore plus précise et inquiétante. Détour par Mondonville et un air étrange tiré d’Isbé “Désirs toujours détruits” dans lequel la chanteuse fait beaucoup d’ornementation avec finesse et subtilité. Le concert se termine par un long extrait de Scylla et Glaucus de Jean Marie Leclair. Dans le premier air “Noires divinités”, Véronique Gens incarne une magicienne et elle en prend tous les accents: voix rauque, phrasé solennel… Elle est presque effrayante avec sa voix très grave pour chanter “qui règne sous les cieux”… Elle est totalement habitée par le personnage et cela se perçoit à sa gestuelle plus importante alors qu’elle est en général une chanteuse très discrète. Le second air “Brillante fille de Latone” permet de retrouver la jeune Véronique Gens avec des perles de notes sur “descendez”, une douceur naïve et fraîche. Christophe Rousset lance ensuite son orchestre dans un air des démons particulièrement puissant et la musique, magique presque, entoure Véronique Gens.
Après avoir donné un concert très riche, ils trouvent encore la force d’offrir trois bis. Le premier est un air de Rameau “Que ses regrets ont attendri” qui est tout à fait charmant avec quelques vocalises. A noter le solo de flûte particulièrement doux. Ensuite un air de Pancrace Royer où il est question de rossignols et qui contraste avec l’ambiance si dense qui avait régné pendant deux heures. Enfin une reprise de “Tristes apprêts”.
Christophe Rousset est un merveilleux accompagnateur! Ces deux artistes font vraiment de la musique ensemble! Dans l’ouverture d’Armide il amène peu à peu l’ambiance et tout s’installe logiquement à l’aide, notamment, d’un crescendo sur les notes tenues. Dans Hippolyte et Aricie il raconte une histoire et on croit entendre déjà les vagues qui emporteront le héros à travers les élans musicaux que Christophe Rousset insuffle à son orchestre. Le prélude de l’acte III est dirigé d’une main de fer et est plus sec que sous la baguette de Minkowski: des accents brusques et agressifs, à-coup au clavecin, etc…Au milieu de la deuxième partie, il retrouve Mondonville, compositeur qu’il a contribué à redécouvrir à travers des enregistrements. Il joue ici des extraits des Fêtes de Paphos de manière très imagée et on peut aisément reconnaître les bergers, les animaux et tout ce qui compose une forêt dans l’Arcadie: un vent de gaieté et de légèreté souffle sur l’orchestre et les violons se montrent malicieux et vifs.
C’est avec un immense bonheur que l’on retrouve une Véronique Gens baroque et il est à espérer qu’elle va continuer à mener de front une carrière plus lyrique et une carrière à tendance baroque. Depuis presque vingt ans, elle est inégalable pour donner vie à une oeuvre, pour la raconter, pour la dessiner. Sa voix et elle sont désormais prêtes pour incarner des héroïnes tragiques et elles ne feront qu’une bouchée des Phèdres et autres Armide…
A noter:
- Ce concert sera redonné le 22 mai à Nantes dans le cadre du festival du Printemps des Arts.
- Véronique Gens et Christophe Rousset viennent donc de sortir un disque consacré aux héroïnes tragiques dans lequel il est possible de retrouver tous ces airs. Chez Virgin.
- Il y a une petite dizaine d’années ces deux artistes ont enregistré Les Fêtes de Paphos chez l’Oiseau-Lyre.
- Véronique Gens s’amusera en décembre prochain à l’Opéra National de Lyon dans La Veuve Joyeuse, mise en scène de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps. Manon Ardouin
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