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Œuvres ouvertes Paris Cité de la musique 05/13/2006 - Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54
John Cage : Concerto pour piano
Pierre Boulez : Livre pour cordes
Claude Debussy : Images (Iberia)
Michel Béroff (piano)
Vlaams Radio orkest, Michel Tabachnik (direction)
Sous le titre «Les années cinquante – Cage/Boulez», la Cité de la musique propose, après Bach/Berio ou Beethoven/Stockhausen, l’une de ces confrontations qui lui sont chères, au travers d’un cycle de huit concerts ou spectacles précédés d’un forum sur la correspondance échangée entre les deux compositeurs. La première soirée de ce cycle permettait d’entendre une formation qui ne vient pas souvent dans la capitale, l’Orchestre de la Radio flamande (VRO) – mais dont le chef-dirigent est en revanche bien connu du public parisien, puisqu’il s’agit de Yoel Levi, chef principal de l’Orchestre national d’Ile-de-France – et un chef, Michel Tabachnik, chef-dirigent du Noord Nederlands orkest (NNO) depuis septembre dernier, qui, pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir ici, s’est fait rare dans notre pays au cours des dernières années.
C’était également l’occasion de retrouver Michel Béroff hors de ce XXe siècle auquel il est le plus souvent cantonné: du Concerto (1845) de Schumann, le pianiste français, soutenu par un accompagnement tout saut indifférent, donne une lecture dépourvue d’affectation ou de sentimentalisme, objective et réfléchie, à l’exception de la cadence de l’Allegro affetuoso, où il s’abandonne à une sorte de fuite en avant stylistiquement et techniquement aventureuse.
N’ayant évidemment plus rien à voir avec le grand concerto romantique, en ce qu’il a renoncé, par son caractère presque entièrement aléatoire, à tous les éléments de l’écriture (mélodie, rythme, durée, harmonie, contrepoint), le Concerto (1957) de Cage nécessite en outre un important changement de plateau: il associe en effet au piano onze instruments (quatre bois, trois cuivres et quatre cordes) placés pêle-mêle en demi-cercle autour du «soliste», qui se retrouve donc face au chef. Celui-ci limite son intervention à de lents mouvements ascendants du bras droit et descendants du bras gauche, tandis que les musiciens folâtrent parmi les quelques indications données par le texte. Cultivant les modes de jeu les plus insolites – y compris pour le soliste, qui frappe la table d’harmonie et son cadre avec des baguettes – voire les jeux de scène (frappements du pied du violoniste, contrebassiste faisant tourner son instrument sur lui-même, pianiste feuilletant frénétiquement sa partition), le résultat tient le plus souvent du bruitage, même s’il parvient parfois à suggérer des effets sonores et poétiques inattendus. Après vingt-six minutes de ces joyeux ébrouements, Tabachnik siffle la fin de la récréation, puisque même la durée de l’exercice n’est pas fixée.
Face à une démarche aussi burlesque et ludique que provocatrice, on comprend qu’après une intense entente autour de 1950, traduisant un souci commun de faire table rase, la relation entre Cage et Boulez ne se soit pas prolongée. L’aléatoire tient certes une place centrale dans les préoccupations du compositeur français, influencé par la lecture de Mallarmé, mais ce n’est pas pour en tirer des conséquences aussi extérieurement radicales que chez Cage: si l’œuvre est «ouverte», pour reprendre le terme forgé à cette époque, ce n’est pas par la liberté accordée à son interprète, mais par le fait que ses différentes sections peuvent avoir une existence autonome. C’est ainsi que deux mouvements extraits du Livre pour quatuor (1949) se sont émancipés et ont subi quelques transformations pour devenir le Livre pour cordes (1968/1988). Malgré des cordes un peu ternes, Tabachnik prend soin de clarifier l’extrême division des pupitres et retient un parti pris résolument expressif, proche de la seconde Ecole de Vienne ou de Bartok.
Les Images de Debussy pourraient également être qualifiées d’œuvre ouverte, en ce sens qu’elles sont souvent données séparément, notamment Iberia (1908); cela étant, même le Concerto de Schumann, dont le premier mouvement fut initialement conçu comme une pièce isolée, pourrait être qualifié de work in progress… Tabachnik, à la tête d’un ensemble solide, s’en tient ici à un premier degré parfaitement efficace, mais avec des textures charnues évoquant parfois davantage Respighi que Debussy: Par les rues et les chemins vigoureux et haut en couleur, Les Parfums de la nuit au lyrisme généreux et, après une transition soigneusement mise en place, Le Matin d’un jour de fête, spectaculaire et brillant. Très chaleureusement accueilli par les musiciens, le chef fait reprendre en bis Par les rues et par les chemins.
Le site de l’Orchestre de la Radio flamande
Simon Corley
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