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La reine mère aux Champs-Elysées Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/20/2006 - et les 22, 24, 26 & 28 avril 2006 Gioachino Rossini :Sémiramis Alexandrina Pendatchanska (Sémiramis), Barbara di Castri (Arsace), Michele Pertusi (Assur), Federico Sacchi (Oroe), Gregory Kunde (Idreno), Mariana Ortiz (Azema), Enrico Facini (Mitrane), Fernand Bernadi (l’ombre de Ninus). Orchestre National de France, Chœur du Théâtre des Champs-Elysées, dir. Evelino Pido. Mise en scène : Gilbert Deflo. La reine tue son mari avec la complicité de son amant. C’est son côté Clytemnestre. Elle veut épouser son fils, dont elle ignore l’identité. C’est son côté Jocaste. Quand il apprend la vérité, le fils jure de se venger, ce que, du fond de sa tombe, réclame l’ombre du père. C’est son côté Hamlet. Il tue sa mère. C’est son côté Oreste. A ceci près qu’il la tue par erreur, alors qu’il lui a pardonné. Il croyait frapper le traître, qu’on arrête aussitôt. Le matricide malgré lui tente bien de se suicider, mais le seria a ses lois et la fin doit être heureuse : il monte sur le trône, qu’il partagera avec la belle princesse pour laquelle il soupirait, union consacrée par la mère expirante.
Du pain bénit pour le docteur Freud, mort trop tôt pour assister à l’exhumation de cette Sémiramis de Rossini créée en 1823. Il a fallu en effet attendre 1962 pour que Joan Sutherland, à la Scala de Milan, ressuscite la redoutable reine de Babylone, à la fois meurtrière, adultère et incestueuse. Ce n’était que justice : dans son ultime opera seria – et son ultime opéra italien, le génie dramatique Rossini atteint son apogée. Sa science du chant orné y jette ses derniers feux belcantistes, exigeant des chanteurs une virtuosité insolente. C’est pourquoi il est si difficile de monter l’ouvrage de façon satisfaisante et on craint toujours d’avoir à refouler le souvenir de Joan Sutherland, de Marilyn Horne, de Samuel Ramey et de Rockwell Blake. Les habitués du Théâtre des Champs-Elysées, par exemple, ne peuvent oublier les soirées de l’année 1981, où la production aixoise de Pier Luigi Pizzi leur offrait Caballé, Horne et Ramey.
Ce qu’ils viennent d’entendre ne saurait s’y mesurer. Alexandrina Pandatchanska a pour elle un réel tempérament dramatique, une voix bien timbrée et un art certain de la coloration. Mais le médium manque de corps – le rôle, écrit pour la Colbran, reste assez central - et la vocalisation pèche par manque d’assurance dans les gammes rapides. Cela dit, le personnage est là, ambigu, passionné, prêt à tous les défis. Loin d’être la révélation annoncée, l’Arsace de Barbara di Castri serait plutôt une déception : pas vraiment un contralto musico rossinien, dont elle se donne les airs ici ou là en forçant son émission, plutôt un mezzo, assez convaincant dans le canto spianato mais parfois éprouvée par la colorature, en particulier – elle aussi – dans les gammes, pas toujours d’accord avec la justesse de surcroît. Sans pouvoir prétendre se poser en nouveau Ramey, Michele Pertusi confirme en revanche qu’il est, malgré un timbre assez mat, une des meilleures basses rossiniennes du moment, assez à l’aise dans le chant orné pour préserver le modelé de la ligne et proposer une composition assez impressionnante, particulièrement remarquable dans une scène des hallucinations digne de Macbeth. Comme lui, Gregory Kunde est depuis un certain temps un familier de son rôle. Il a cependant paru en petite forme, s’abstenant de chanter l’air du premier acte, rappelant néanmoins dans le second qu’il a été un des rares ténors à pouvoir affronter avec autant de style et d’homogénéité dans les registres le rôle aussi périlleux que secondaire d’Idreno. La plus grande satisfaction venait finalement de la direction à la fois subtile et puissante d’Evelino Pido, qui a redonné à l’orchestre rossinien, si injustement décrié, toute sa dimension, construisant un vrai drame là où certains se contentent de tricoter un accompagnement, bien secondé par un National aux belles couleurs et jouant le jeu avec un plaisir évident. Et on lui sait gré d’avoir choisi le finale de la version parisienne de 1825, orchestrée par l’éminent Philippe Gossett, où le rôle de Sémiramis, au moment du pardon, est enrichi d’un bel arioso. Reste à savoir si les puristes lui pardonneront les coupures qu’il s’est autorisées dans l’opéra le plus long de Rossini, qui, dans son intégralité, dure presque aussi longtemps que Siegfried.
Les problèmes posés au metteur en scène par ce genre d’ouvrage sont difficiles à résoudre. Prudent, Gilbert Deflo prend le parti de la sobriété, tournant résolument le dos aux relectures décapantes – ou prétendues telles – dont certains sont si friands aujourd’hui, comme à la stylisation grandiose d’un Pier Luigi Pizzi. La mise en scène reste assez littérale, jouant surtout sur l’opposition entre le blanc – les prêtres et les mages, vêtus à la babylonienne – et le noir – les autres personnages, en habit – pour mieux souligner la dimension politique de l’opéra. Dans un décor sombre de blocs de granit, très vertical, à la fois temple et mausolée… et un peu bunker, se joue le huis clos de l’amour et du pouvoir, des rapports entre le trône et l’autel. On se croirait un peu dans l’Italie des carbonari ou des Chroniques italiennes de Stendhal. L’autel, en tout cas, aura le dernier mot : le grand prêtre hisse Arsace sur le trône, pantin hagard aliéné par son matricide, affublé de la cape écarlate d’un père commandeur qui risque bien aussi de le hanter à jamais. Le chœur a beau célébrer l’accession du nouveau souverain, la fin heureuse a un goût de tragique. La direction d’acteurs, malheureusement, n’est pas toujours à la hauteur du propos et peine à trouver une réelle homogénéité : Sémiramis a des airs de matrone, Arsace est bourgeoisement empoté et Assur ressemble à un traître de mélodrame en gants blancs, à mi-chemin entre Méphisto et Dracula.
Bref, une production inégale, qui ravive les nostalgies plus qu’elle ne les apaise. Point n’est besoin, d’ailleurs, de remonter à l’époque bénie du couple Sutherland-Horne : il n’y a pas si longtemps, une Nelly Miricioiu, une Ewa Podles et une Daniela Barcellona ont encore montré qu’on pouvait, sinon les remplacer, du moins leur succéder dignement. Pour ne rien dire, côté ténors, de Juan Diego Florez, primo uomo assoluto du chant rossinien aujourd’hui. Ce n’est donc pas inchantable. C’est seulement très, très difficile.
Didier van Moere
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