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Joute vocale entre Onéguine et Lenski!

London
Covent Garden
03/16/2006 -  et les 20, 22, 24 mars et 3, 5, 8* avril 2006.
Pyotr Ill’yich Tchaikovsky : Eugène Onéguine
Dmitri Hvorostovsky (Eugène Onéguine), Amanda Roocroft (Tatiana), Rolando Villazon (Lenski), Nino Surguladze (Olga), Ryland Davies (M. Triquet), Sarah Ping (Mme Larina), Susan Gorton (Filipyevna), Eric Halfvarson (Gremine), Elliot Goldie (paysan), Jonathan Fischer (Trifon Petrovich), Robert Gleadow (Zaretsky), Richard Campbell (Guillot).
Antony Mc Donald (décors), Peter Mumford (lumières), Linda Dobell (chorégraphie), Steven Pimlott (mise en scène)
Choeur et Orchestre du Royal Opera House
Philippe Jordan (direction)

Pour cette nouvelle production, le Covent Garden s’est assuré le concours du grand Dmitri Hvorostovsky dans le rôle-titre d’Eugène Onéguine et du ténor montant Rolando Villazon dans celui de Lenski. Et c’est véritablement sur eux que reposent la représentation et la réussite de cette soirée car, en dépit d’une mise en scène jolie et traditionnelle, le plateau vocal, sans parler de la direction musicale, est loin de tenir ses promesses.



La mise en scène de Steven Pimlott est belle, intelligente et sensible. Par de petits détails il apporte des idées, des pistes de réflexion et parvient à caractériser les personnages même si parfois les chanteurs se retrouvent bien seuls sur scène et statiques. A eux alors de faire passer un message musical… La scène du Covent Garden est redélimitée, c’est-à-dire que les personnages évoluent sur une nouvelle scène reconstruite au fond du plateau. Les espaces sont également séparés: la chambre de Tatiana est construite en forme de cercle et des fenêtres entourent cette pièce, la même forme étant reprise pour la dernière scène quand elle se trouve dans sa bibliothèque. Les accessoires, tout en blanc, sont assez rares, une table, des chaises pour désigner la vie de la maison. Le metteur en scène joue beaucoup sur les lumières: au fur et à mesure de l’air de la lettre de Tatiana, la lune laisse la place à l’aube dans un très bel effet. La scène est assez souvent divisée en deux plans et les personnages entrent par le fond du plateau qui représente des montagnes, notamment dans la maison de Tatiana. Quelques bonnes trouvailles sont à noter: au début du bal de Tatiana, des danseurs portent des masques d’animaux, animaux voyeurs puisqu’ils regardent à travers les fenêtres le déroulement de la soirée dans une ambiance étrange. Le personnage de Lenski est bien traité aussi puisqu’une fois mort il revient hanter Onéguine avec son pistolet dans le dernier acte et ils se croisent dans la foule. Les costumes sont somptueux sans être exubérants et les différentes robes des dames sont très belles dans le bal. Les autres personnages portent des costumes traditionnels de dandy du 19ème et des robes simples de propriétaires fermiers. Les paysannes sont vêtues, quant à elles, de belles robes russes rouges et blanche.


Le rôle d’Eugène Onéguine colle comme un gant à Dmitri Hvorostovsky. Il campe un jeune homme droit, un peu froid et plein de blessures (elles sont sensibles quand il revient de la promenade avec Tatiana): à aucun moment il ne montre qu’il pourrait mal agir et jusqu’à l’ultime rencontre avec Tatiana au troisième acte il est sûr d’avoir la bonne attitude, du moins celle qu’il faut avoir. La voix souligne aussi ce jeu scénique puisqu’elle est d’une grande stabilité, d’un calme impressionnant et d’une imposante rigueur. Il sait colorer sa voix pour lui donner un sens dramatique évident notamment dans l’air dans lequel il repousse Tatiana: il prend alors des accents de charmeur et sa voix glisse d’une note à l’autre avec une facilité confondante. Il dévoile toute la grandeur de son talent de comédien dans l’air qui conclue le premier tableau du dernier acte quand il laisse exploser son amour pour Tatiana: il devient presque fou, chante avec d’immenses respirations dramatiques et tient la salle! Enfin il est perdu, égaré quand il retrouve Tatiana et qu’à son tour elle le repousse. Un clin d’oeil intéressant est fait à la chevelure de ce baryton car dans les deux premiers actes il porte une perruque brune et dans le dernier acte (le temps a passé et il a mûri…) il retrouve ses célèbes cheveux blancs. Il forme un excellent duo avec Rolando Villazon (Rigoletto et Duc l’année dernière sur cette même scène ou bien père et fils Germont hier et bientôt) et dans la scène du bal ils rivalisent d’intensité dans une joute vocale impressionnante, Rolando Villazon se contenant d’une colère qui ne cesse de grandir et Dmitri Hvorostovsky ne cessant de l’irriter par une parfaite domination quelque peu méprisante.
Amanda Roocroft déçoit beaucoup en Tatiana. La voix n’est pas très belle, elle bouge beaucoup et elle accuse un vibrato assez désagréable. La chanteuse n’émeut guère et elle ne semble pas vraiment habiter son personnage. Ses costumes très différents pour les deux périodes de sa vie permettent de lire un changement dans son attitude mais sa personnalité est tout aussi raide et froide au début de l’opéra qu’à la fin. La scène de l’écriture de la lettre n’est pas vraiment réussie et n’apporte pas la dimension tragique qu’elle doit avoir.
Rolando Villazon effectue avec Lenski sa seconde prise de rôle de la saison et quelle réussite! Dès son entrée en scène il est un Lenski plein de délicatesse, rempli de bonheur et prêt à affronter la vie… et ses désillusions. Mais au moment du bal, il reste dans un coin de la scène et la montée de sa colère puis son explosion est très sensible: il se renfrogne peu à peu, il a des gestes plein de réserves, il est à l’affût du moindre mouvement d’Onéguine ou d’Olga…La fin du bal s’appuie entièrement sur lui et il devient presque fou de douleur notamment quand il répète trois fois “votre maison “ à Mme Larina avec une nouvelle intensité dans la voix à chaque fois ou quand il reprend avec une émotion palpable le thème du bonheur avec Olga. Dès sa première note, on sait qu’il est dans un jour de grâce! Et il le prouve dans les longues notes tenues dans le bal ou bien quand il use et abuse avec tact des crescendos et des decrescendos! Le fameux air “kuda, kuda” est une totale réussite: la voix est très pure, toute douce mais on sent un soutien évident. La seconde partie est particulièrement émouvante et on perçoit un peu d’espoir dans sa voix comme si tout n’était pas fini. Mais c’est pour mieux pleurer ensuite et accompagner d’effets les “Olga”, appels sans réponse.
Le rôle d’Olga est tenu par Nino Surguladze qui brosse le portrait d’une charmante jeune fille, pleine de vie et d’énergie: elle ne voit pas le danger en Onéguine et danse le plus naturellement du monde avec lui. Vocalement cette jeune chanteuse est fort prometteuse et elle possède un grave assez somptueux et des aigus brillants, lui permettant d’assumer toute la tessiture de la partition. Son air “Uzh kak po mostu” est bien négocié et elle le chante avec chaleur et sensibilité: elle accentue les soupirs et feint de pleurer. Elle forme avec Rolando Villazon un heureux couple, en total contraste avec celui de Tatiana-Onéguine.
Eric Halfvarson est un bien émouvant Prince Gremine. Il chante avec expressivité et noblesse son air au troisième acte et parvient à bouleverser et Onéguine et la salle. Sa longue voix profonde et voluptueuse convient au personnage auquel elle apporte dignité et distinction.
Sarah Ping est une Mme Larina très conventionnelle avec une voix puissante et un jeu de scène convaincant. Elle se montre une mère attentive et sait jouer de sa voix pour être tendre mais également autoritaire envers Lenski qui brise les lois de l’hospitalité au cours du bal. Susan Gorton, en Filipyevna, fournit des efforts sensibles pour proposer un personnage attachant avec la voix qu’elle possède encore aujourd’hui. Elle est idéale dans ce rôle car elle incarne avec le moindre de ses gestes, un bonne vieille nourrice prête à tout écouter, mais qui a sa vie derrière elle.
M. Triquet, alias Ryland Davies, est absolument irrésistible. Le metteur en scène ne le gâte pas au niveau de son costume puisqu’il porte une veste verte très voyante, des bas à rayures beige-bordeaux. Il chante avec affectation et minauderie son air, exactement comme le personnage le demande, éprouvant parfois des difficultés à sortir les aigus mais l’effet semble volontaire. Le tempo très lent adopté par Philippe Jordan contribue au ridicule du vieux professeur et cette scène est bien réjouissante.


La déception vient aussi de la fosse: à que de trop rares moments l’orchestre sonne russe et la musique s’envole. Le jeune chef est bien consciencieux au détriment de l’émotion qui doit se dégager de cette superbe partition: les différentes danses, par exemple, manquent d’entrain. En revanche il se montre inspiré dans la montée qui précède l’explosion de l’air de la lettre de Tatiana et ensuite dans la reprise du thème quand c’est Onéguine qui le chante.



Une belle production qui ne vaut que pour la présence magnétique de Dmitri Hvorostovsky et celle électrisante de Rolando Villazon: ces deux-là plantent le décor du drame et le laissent éclater! La distribution reste toutefois honnête et tous rassemblent leurs efforts pour défendre la partition mais avec plus ou moins d’inspiration.




A noter:
- Dmitri Hvorostovsky reprendra le rôle d’Onéguine au Met en février-mars 2007 en compagnie de Renée Fleming, Ramon Vargas, sous la direction de Valery Gergiev et dans une mise en scène de Robert Carsen.
- Rolando Villazon vient de sortir son troisième récital chez Virgin dans lequel il interprète, entre autres, l’air de Lenski. Il sera en concert avec Anna Netrebko au Barbican Center de Londres le 31 octobre 2006.


Manon Ardouin

 

 

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