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De l'acoustique d'une cathédrale London Cathédrale Saint-Paul 06/20/2000 - Johann Sebastian Bach, Magnificat en Ré Majeur BWV 243
Sir John Tavener, Totale Eclipse
Nancy Argenta (soprano)
Julia Gooding (soprano)
Christopher Robson (contre-tenor)
James Gilchrist (tenor)
John Harle (saxophone)
The Academy of Ancient Music, The Choir of New College Oxford, Paul Goodwin (direction)
L'introduction d'un concert par une courte prière paraît tout à fait irréelle pour une auditrice habituée à la laïcité d'un pays où même les églises appartiennent à des laïcs.
Cette respectable minute de recueillement allait-elle cependant racheter la disgrâce qui allait suivre ? Car, en effet, comment peut-on prétendre faire entendre le sublime Magnificat de Bach au sein d'une si désastreuse acoustique, celle de la cathédrale Saint-Paul de Londres. Et ce malgré des interprètes qui furent certainement à la hauteur de l'oeuvre : The Academy of Ancient Music et The Choir of New College Oxford dirigés par Paul Goodwin. Blasphème ! Offense à l'oeuvre musicale, qui plus est religieuse ! Et pourquoi, alors, n'avoir pas installé, par exemple, un plafond temporaire et acoustique ? Outrage à l'esthétisme de l'édifice religieux, me rétorque mon voisin, amusé mais choqué. Résultat : un bon millier d'auditeurs dupés, certes épris par la magnificence des lieux, mais trahis. L'esthétisme a vaincu la musique. Tel serait en tout cas et sans doute l’avis des spectateurs (à défaut d’être auditeurs) placés dans la grande nef centrale.
Un changement stratégique de place s’imposait donc, direction le tout premier rang, au coeur du choeur, à la barbe des organisateurs du City of London Festival. Et là, quelle découverte ! Tavener et sa nouvelle composition, Totale Eclipse. Une première mondiale pour cette " petrified ecstasy " (sic Tavener lui-même) spécialement composée pour l’acoustique de la cathédrale Saint-Paul justement.
La coupole (rappelons que Saint-Paul est tout juste plus petite que la basilique Saint-Pierre de Rome) offre des résonances exceptionnelles mises en valeur par la disposition des musiciens: des flûtistes et ténor au balcon, des percussionnistes de part et d’autre du chœur, le choeur d’hommes à droite, élevé par une voie juvénile, le duo saxophone-contre-ténor tantôt d’un côté du chef d’orchestre tantôt de l’autre, l’orchestre à sa place habituelle. L’œuvre ainsi interprétée fut formidable de rayonnement, celui que dû connaître Saint Paul lors de sa conversion, sur la route de Damas, que Tavener voudrait suggérer ici. La prédominance du saxophone, brillamment tenu par John Harle, au sein de l’ensemble baroque, est inattendue mais tellement accomplie qu’on en oublie que cet instrument est (était), jusque-là réservé au jazz. "The haunting sound " de ce saxophone solo illustre parfaitement le cheminement spirituel et supposé de Saint Paul depuis les ténèbres jusqu’à la lumière aveuglante diffusée par le Christ.
Une composition détonnante, un mélange extraordinaire de tonitruant, de spiritualité, d’échos décuplés par la vaste coupole, de mélodies aussi. Totale Eclipse risquerait-elle l’éclipse totale sans sa cathédrale ?
Juliette Debrosse
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