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My dancer is Reich Paris Cité de la musique 03/22/2006 - et 18 (Köln), 23 (Bruxelles), 26 (Wien), 29 (Amsterdam), 30 (Birmingham) mars et 3 avril (Athènes) 2006 Steve Reich : Sextet – Different trains – Variations for vibes, pianos and strings (*) (création française)
Akram Khan Company: Akram Khan (chorégraphie, danse), Gregory Vuyani Maqoma (danse), Young Jin Kim (danse), Fabiana Piccioli (design lumières), Sound Intermedia (design sonore)
London Sinfonietta, Brad Lubman (*) (direction)
Faisant suite à son exploration des variantes du «modèle classique», la Cité de la musique ouvrait, après le jazz et avant les chanteurs kabyles, le volet central de son nouveau cycle «Métissages» – consistant en une série de quatre concerts présentés d’ici le 4 avril sur le thème «Métissages postmodernes» – par l’étape parisienne de la tournée européenne entreprise par le London Sinfonietta. En collaboration avec les danseurs de la compagnie Akram Khan, l’ensemble britannique spécialisé dans la musique de notre temps propose en effet un programme intégralement consacré à Steve Reich, qui fêtera ses soixante-dix ans en octobre prochain, associant deux de ses «classiques» des années 1980 à la création d’une commande effectuée par l’European concert hall organisation (ECHO).
Conformément à son titre, Sextet (1984/1985) requiert bien six exécutants, mais les quatre percussionnistes et les deux pianistes se répartissent différents instruments à percussion (notamment trois marimbas et deux vibraphones), deux pianos et deux synthétiseurs. Typiques des «glissements progressifs» du maître du «minimalisme», ces vingt-six minutes (sonorisées) cultivant un grand raffinement de textures, à l’image de ces deux grosses caisses qui se répondent en sourdine, n’en réservent pas moins des transitions à la vigueur stravinskienne ou bartokienne. Au-delà de la performance physique et de la concentration exigée par des pages aussi délicates à mettre en place, prévaut toutefois l’impression que les musiciens ne parviennent pas encore à leur conférer toute leur puissance envoûtante.
Autant Sextet était très proche d’œuvres de la même époque, telles que The Desert music ou les Trois mouvements pour orchestre, Different trains (1988) pour quatuor à cordes (amplifié) et bande, d’une durée sensiblement équivalente (vingt-sept minutes), traduit une volonté plus descriptive, dramatique et consensuelle à la fois. Il est vrai que Reich se réfère ici aux années 1940, aussi bien aux tragédies de l’histoire qu’à ses propres souvenirs. La bande diffuse des bruits (sifflement des trains), des voix et des fragments pour quatuor: le quatuor surenchérit sur ces différents éléments, imitant les bruits, s’attachant à reproduire (notamment l’alto et le violoncelle) l’intonation des voix, comme chez Janacek, et dialoguant avec son «double» préenregistré.
Par l’importance qu’elle accorde au rythme et sa forte capacité d’adaptation, la musique de Reich semble appeler la danse et a d’ailleurs souvent fait l’objet de transpositions chorégraphiques. Mais avec ses toutes récentes Variations (2005) pour vibraphones, pianos et cordes, créées deux jours plus tôt à Cologne, il a directement écrit dans la perspective d’une réalisation dansée, destinée au London Sinfonietta ainsi qu’à la compagnie fondée en 2002 par le danseur Akram Khan. Déjà sensible dans le style du compositeur américain, fortement influencé par les traditions africaines ou asiatiques, le concept de «métissage» trouve ici toute sa pertinence, puisque les trois danseurs sont respectivement d’origine bengali, sud-africaine et coréenne, et visent à fusionner non seulement les richesses de leurs parcours respectifs mais aussi la modernité – difficile ainsi de ne pas parfois penser au hip hop – et la tradition.
Reich livre une partition de vingt-trois minutes, structurée en trois mouvements vif/lent/vif enchaînés, tout à fait égal à lui-même dans ses répétitions de courts motifs et fidèle à une manière «abstraite» qui rappelle bien davantage Sextet que Different trains. Depuis un petit podium installé sur la droite, Brad Lubman dirige la petite formation alignée en fond de scène (l’avant étant naturellement réservé à la danse), avec de gauche à droite les deux pianos, les trois quatuors à cordes – ou plutôt, les six violons, les trois violoncelles et les trois altos – ainsi que les quatre vibraphones.
Tel que présenté à la Cité de la musique, le spectacle se caractérise par l’humour, la légèreté et la grâce. Assis face au public, l’un des danseurs commence par engager (en anglais) une sorte de dialogue imaginaire avec le public, comme une conversation téléphonique dont on n’entendrait que l’un des interlocuteurs, mais le chef vient fouler – en chaussettes – le tapis pour l’inciter à abréger la présentation caricaturalement verbeuse de ces Variations. A la fin, comme si tout recommençait, le danseur revient au premier plan pour reprendre sa conversation, mais il est immédiatement interrompu par l’extinction des lumières.
Soutenue par un «design lumières» de Fabiana Piccioli, la chorégraphie donne le sentiment d’une improvisation toujours très active, alternant souplesse et secousses, symétrie et anarchie, soli et tutti, coopération et conflits, mais le moment le plus frappant et le plus poétique demeure sans doute la partie médiane, où les danseurs, vêtus de tons ocres et gris, suivent étroitement les notes, comme s’ils les mimaient, rejoints un temps par Lubman qui, depuis son pupitre au centre du tapis, mêle ses gestes à ceux des trois protagonistes.
Le site de Steve Reich
Le site du London Sinfonietta
Le site de la compagnie Akram Khan
Simon Corley
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