Back
Entente cordiale Paris Théâtre Mogador 03/20/2006 - et 2 avril, 11 et 12 mai 2006 Frédéric Chopin: Nocturne en ut dièse mineur opus posthume – Mazurka, opus 24 n° 2– Grande valse brillante, opus 18 – Mazurkas, opus 17 n° 4 et 3 et opus 7 n° 3 – Préludes, opus 28 n°s 22 et 7 – Nocturne, opus 62 n° 1 – Scherzo n° 2, opus 31 – Fantaisie, opus 49 – Etude, opus 10 n° 12
Macha Méril (George Sand), Jean-Marc Luisada (piano)
Simone Benmussa (mise en scène)
Les tentatives visant à associer texte et musique ne parviennent que rarement à se sortir de l’éternel dilemme: ce sera donc souvent Prima la musica, poi le parole, ou bien le contraire. Ce n’est pas le moindre mérite de «Feu sacré», déjà paru en disque chez RCA et repris pour quatre représentations à Mogador d’ici le mois de mai prochain, que de concilier remarquablement, quatre-vingt-quinze minutes durant, ces deux vecteurs d’expression, l’un ne venant jamais faire de l’ombre à l’autre, même quand les mots viennent ici ou là se superposer aux notes.
On le doit à la judicieuse sélection de pages intimes et de lettres de George Sand (mais aussi de quelques phrases de Chopin) effectuée par Bruno Villien pour cette «pièce-concert», mais aussi au respect mutuel que s’accordent les protagonistes: Macha Méril, sobre diseuse hélas peu aidée par la taille du théâtre, et ce malgré la présence d’une sonorisation; Jean-Marc Luisada, interprète de son propre choix de pièces de Chopin, qui, sans s’en tenir strictement à la chronologie de cette relation (1836-1849), entretient un échange fructueux avec les sentiments ou les idées véhiculés par les écrits de Sand.
Le dispositif scénique, d’une grande simplicité, n’interfère nullement dans cette entente cordiale, avec en toile de fond un tableau abstrait de Paul Jenkins, Phenomena Strike the tiger (1999), qui pourrait évoquer les éclats de couleur de Zao Wou-ki ou Manessier: six marches, deux toiles transparentes qui glissent verticalement, deux chaises, un petit écritoire, un châle rouge. La mise en scène sensible de Simone Benmussa (1932-2001) est à l’unisson de ce dépouillement bienvenu.
Sans pathos inutile, avec une grande sobriété, Macha Méril – qui chante même Seize ans, l’une des adaptations en forme de mélodie que Pauline Viardot fit de quelques mazurkas de Chopin (en l’occurrence, la Deuxième de l’opus 50) – rend justice à la personnalité de la «bonne dame de Nohant». Car la succession des textes décrit non seulement l’histoire d’une passion – le «petit Chopin» qui devient «Chip-Chip», puis le constat que l’on n’a pas «tous les jours le feu sacré», et enfin un «amour absolument chaste et maternel» – mais trace également en filigrane le portrait d’une femme lucide, d’une grande acuité psychologique, curieuse de la vie politique et sociale, avec un sens particulièrement prononcé de la formule, et dont les états d’âme passent de la colère à l’autodistanciation, de l’espoir à l’amertume, de la tristesse à l’humour.
Quant à Luisada, ses affinités avec le compositeur sont connues de longue date, depuis le cinquième prix qu’il a obtenu au onzième Concours Chopin de Varsovie (1985): la qualité du toucher sert un raffinement et une élégance parfois à la limite du maniérisme – Nocturne en ut dièse mineur (opus posthume), Grande valse brillante – mais les contrastes et le panache ne font pas pour autant défaut, malgré un jeu affecté par des accrocs à la fréquence inhabituelle, dans les grandes partitions qui se succèdent en fin de spectacle – Premier des Nocturnes de l’opus 62, Deuxième scherzo, Fantaisie en fa mineur, comme jaillissant sans cesse d’une improvisation, et Etude «Révolutionnaire».
Simon Corley
|