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L’éternité et un soir

Paris
Cité de la Musique
06/17/2000 -  
Claudio Monteverdi : L’incoronazione di Poppea
Mireille Delunsch (Poppée), Sylvie Brunet (Octavie), Nicole Heaston (Drusilla / Vertu), Cassandre Berthon (Amour / Demoiselle), Alison Cook (Fortune / Valet), Hélène Delavault (Nourrice), Anne-Sophie von Otter (Néron), Charlotte Hellekant (Othon), Jean-Paul Fouchécourt (Arnalta), Denis Sedov (Sénèque), François Piolino (Lucain / Soldat / Tribun), Luc Coadou (Libertus / Licteur), Thierry Grégoire (Pallade / Familier), Michael Bennett (Mercure / Soldat / Familier), Marcos Pujol (Familier / Tribun)
Les Musiciens du Louvre – Grenoble, Marc Minkowski (direction)

De la production contestée de Grüber, ce concert mis en espace semble avoir conservé le meilleur : une élégance altière des corps qui hésitent à s’étreindre, et rendent perceptible dans la courbe d’un bras ou l’intensité d’un regard la violence des tourments intérieurs. Serait-ce dans son absence que le metteur en scène se révèle génial ? Faisons néanmoins la part d’un cadre idéal (pour l’espace, sinon pour l’acoustique : il faut quelques minutes à l’oreille pour s’accoutumer aux étranges éthers de la Cité de la Musique, peu amènes envers les instruments anciens, et rééquilibrer les voix face à un continuo fourni) : conque aux parois granitiques le long desquelles glissent les personnages, proscenium dont l’étrave fend les flots de l’orchestre, nul n’est besoin d’autre décor. Debout archet au vent pour les ritournelles, les cordes n’en cèdent pas moins la vedette, dans cette œuvre-ci, aux formidables continuistes évoqués plus haut. On loue le travail de Juan-Manuel Quintana à la viole de gambe, celui surtout d’un exceptionnel pupitre de guitares et théorbes, aux nervures translucides mais riches en sève, sans oublier des orgues (Mirella Giardelli, Laurent Stewart) le miroir liquide et blême. De ce tapis clair-obscur, foisonnant comme une forêt sombre, entêtant de parfums, Minkowski cultive non seulement les timbres mais surtout la poésie. Son geste un rien chaloupé, dépourvu de la nervosité chirurgicale de Gardiner ou de Jacobs dans cette partition, renoue avec le souffle large, la puissance d’ensemble qui caractérisait, parfois, Harnoncourt. Vision contrastée, mais certes pas éclatée, qui construit le drame sans en surligner inutilement les affects, tenant court la bride à la préciosité comme à la gaudriole ou à l’histrionisme pour sublimer, de cette mosaïque shakespearienne, l’essence humaine et tragique. Elle trouve un idéal prolongement grâce au plateau où se fondent dans une même tension des individualités plus grandes que nature venues d’horizon pour le moins divers. Passons sur quelques silhouettes féminines éteintes ou ternes et sur la très légère déception provoquée par l’Ottone de Charlotte Hellekant, fort convaincante, mais dont on attendait tant après sa bouleversante incarnation dans Le Messie filmé par William Klein. Les hommes sont pour leur part remarquables (mention spéciale pour Piolino et Pujol), le jeune Denis Sedov excellant toujours dans les rôles de vieillards où son grave abyssal et ses harmoniques assez pauvres sont parfaitement en situation. Fouchécourt est l’Arnalta absolue, avec une voix de tête irréelle et des lignes piano ineffables dans la berceuse, des saveurs sans cesse renouvelées du mot et de l’accent dans les monologues. Brunet pouvait inquiéter, elle met la salle à genoux. L’immensité naturelle de la voix renforce l’isolement du personnage, la plénitude à la fois métallique et charnue du timbre s’allie à la véhémence déclamatoire qui fait oublier quelques subtilités de phrasé un peu piétinées, et rester en mémoire la sincérité sauvage, le majestueux désespoir. Où sont ses Wagner et ses Verdi, sur quels théâtres ? Après de tels sommets, on peine à croire pouvoir grimper plus haut ; Néron et Poppée nous entraînent cependant sur leur Olympe, dont ils nous congédieront par un duo final qui est peut-être le plus beau jamais chanté. De Mireille Delunsch, on n’attendait certes ni la femme enfant, ni la petite garce arriviste et libidineuse fixée par une fausse tradition. Sa Poppée au timbre ample et mat, dont les lignes plutôt que de planer s’ancrent au riche terreau de la voix (avec un léger manque de délié dans la diction, mais quel gain en richesse émotive !), impose au travers d’une présence physique à l’irréelle beauté le portrait d’une femme effrayée de son propre amour, et ne découvrant que progressivement le vertige du pouvoir. Dans une tessiture qui est idéalement sienne, von Otter campe de même un Néron anthologique, par la figure (ce regard de dément qui s’humanise par spasmes successifs au retour de Poppée !), par la musique et par l’esprit. Revoici l’irrésistible ciselé des phrases, l’éventail de nuances insensé du plus subtil piano aux vigoureux éclats, les raucités du médium et le pur argent de l’aigu, les mots qui frappent comme des poignards ou enveloppent comme des baisers. Si sa Déjanire qu’on espérait parfaite nous avait légèrement laissés sur notre faim, cet empereur s’ajoute avec Sesto ou Ariodante aux rôles clés d’une carrière. Ce soir surtout, avec dans l’air cette liberté du don collectif qu’on rêve de retrouver à Aix le mois prochain.



Vincent Agrech

 

 

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