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Réussite zürichoise à défaut d’être Schubertienne! Paris Théâtre du Châtelet 03/08/2006 - et les 10* et 12 mars 2006. Franz Schubert : Fierrabras Jonas Kaufmann (Fierrabras), Juliane Banse (Emma), Twyla Robinson (Florinda), Michael Volle (Roland), Christoph Strehl (Eginhard), Gregory Frank (Charlemagne), Gunter Groissböck (Boland), Irene Friedli (Maragond), Ruben Drole (Brutamonte), Volker Vogel (Ogier), Sandra Trattnigg (jeune fille de la suite d’Emma),
Christian Schmidt (décors et costumes), Jürgen Hoffmann (lumières), Claus Guth (mise en scène)
Orchestre et Choeur de l’Opernhaus de Zürich
Franz Welser-Möst (direction) Pratiquement inconnue à son époque, Fierrabras est remontée avec beaucoup d’ardeur par l’Opernhaus de Zürich avec une distribution enthousiaste, à défaut d’être homogène, et dans une mise en scène truffée de bonnes idées et qui surtout sert l’oeuvre, ce qui devient assez inhabituel de nos jours…
L’intrigue de l’opéra est assez simple: le roi Charlemagne a une fille, Emma, qui aime et est aimée de Eginhard, un chevalier de la cour. Mais son père se montre contre cette union, trouvant le prétendant en-dessous de son rang. Charlemagne est en guerre contre le prince Maure Boland qui, lui, a un fils Fierrabras retenu prisonnier, mais estimé pour sa vaillance guerrière, chez les Francs. Fierrabras est secrètement amoureux d’Emma. Boland a aussi une fille, Florinda, qui aime et est aimée de Roland, chef de l’armée franque et ennemi du prince maure. La religion et la politique sont évidemment au coeur de cette histoire mais une paix générale permettra au deux couples d’amoureux de se retrouver.
Schubert est omniprésent dans la mise en scène et c’est lui qui la règle. Dès le lever du rideau il est assis sur une immense chaise, devant un piano gigantesque et à première vue on penserait davantage qu’il s’agit d’un pantin que d’un acteur tant les accessoires de taille démesurée. L’acteur Wolfgang Beuschel tient le rôle de Schubert et il cultive cette étonnante ressemblance avec le compositeur: il porte des petites lunettes et un costume comprenant une veste bleue et un pantalon beige. Schubert est constamment sur scène pour diriger ses personnages (c’est lui qui les introduit pour leur entrée), leur donner des partitions,… Cette distanciation entre l’intrigue et l’oeuvre est subtile et ne verse pas dans un théâtre dans le théâtre facile. Quand l’intrigue devient un peu trop complexe, un tableau noir avec les noms des personnages et à quel camp ils appartiennent descend des cintres et Schubert, en bon professeur, réunit les couples et trace des flèches d’amour pour voir qui va avec qui. Les effets sont simples mais de bon goût et efficaces.
Les décors sont très sobres et, outre le piano et la chaise (qui va servir de trône aux deux rois), une immense horloge (très suisse!) est accrochée sur un mur. Quelques idées intéressantes traversent la production comme la représentation des territoires conquis ou bien acquis: des maquettes d’un château-fort pour les Francs (qui ressemble beaucoup au château qui se trouve à Zürich!) et de palais musulmans pour les Maures. Claus Guth joue beaucoup sur la symétrie: les choeurs portent des armes, des épées pour les Francs, des sabres pour les Maures, les rois successivement vont se placer sur cette grande chaise mais à deux endroits opposés de la scène, etc… Les costumes sont simples mais beaux. Emma porte une robe blanche tandis que Florinda arbore une superbe robe bordeaux. Le camp des Francs est habillé comme Schubert et même Fierrabras qui dès le début de l’opéra est passé du côté de ses ennemis.
Le rôle-titre est tenu par Jonas Kaufmann, pilier de l’opéra de Zürich. Ce jeune ténor, à la carrière prometteuse et qui vient de se tailler un franc succès au Met dans La Traviata, déploie une voix longue et puissante, avec des harmoniques assez sombres pour un ténor. Il campe un Fierrabras rempli de noblesse et son aisance scénique souligne bien la valeur héroïque du personnage. Dommage que Schubert ne lui ait pas donné une plus longue partition et d’ailleurs il ne se prive pas de le lui faire remarquer à la fin de l’opéra! Juliane Banse est une soprano avec une voix assez étrange. Sa prestation est assez peu convaincante, ses aigus sont un peu courts et surtout elle possède un instrument engorgé qui peine à se développer. La déception est d’autant plus grande que scéniquement elle est parfaite pour jouer les jeunes filles volontaires. Toutefois il convient de souligner l’élégance de son phrasé. Le grand triomphateur de la soirée est, sans conteste, Michael Volle dans le rôle écrasant de Roland. Ce chanteur possède une voix brillante, de multiples nuances et il sait très bien s’en servir. Il dessine un personnage soucieux de gloire et sa vaillance vocale s’accorde parfaitement avec la teneur de son rôle. Christoph Strehl est plus que plausible dans le rôle d’Eginhard puisqu’il parvient à donner une véritable envergure au personnage tant vocalement que scéniquement. Non seulement il a le physique du rôle (parfois un peu naïf et survolté) mais aussi la voix et s’il ne fallait retenir qu’un moment ce serait celui où il chante un duo d’amour avec Emma: Schubert écrit ici un passage qui se rapproche du climat de ses mélodies et le ténor effectue un beau travail d’interprétation en augmentant peu à peu l’intensité dramatique, en allongeant un crescendo, etc… Les deux rois ennemis sont tenus par des chanteurs impressionnants. Gregory Frank, qui remplace Laszlo Polgar, impose sa souveraineté avec des graves profonds et éloquents. Il est vêtu d’un long manteau et d’une couronne dorée qui souligne sa majesté. Dès son entrée en scène il fait sensation par l’homogénéité de sa voix et la distillation de ses notes. Gunter Groissböck, le prince maure, n’a presque rien à lui envier si ce n’est qu’il semble avoir moins de facilité. Il n’en interprète pas moins un très beau roi. L’autre jeune fille de l’opéra est Florinda, rôle tenu par Twyla Robinson. Cette soprano possède une voix agréable à écouter, plaisante, avec de jolies couleurs mais elle semble ne jamais chanter en pleine voix. La puissance est assez réduite même dans l’air-récitatif où elle décrit le combat que livre Roland. Elle montre un engagement scénique impressionnant et si sa terreur se lit dans les diverses teintes de sa voix, elle ne se lit pas dans les nuances musicales. A noter la prestation fugitive de Sandra Trattnigg en jeune fille de la suite d’Emma, que l’on aurait aimé plutôt entendre dans le rôle-même d’Emma. Cette toute jeune chanteuse dévoile une voix charmante, timbrée et possède un beau phrasé qui peut lui faire espérer une belle carrière.
Le choeur de l’Opernhaus de Zürich ne peut recevoir que des louanges. Non seulement les choristes jouent subtilement mais ils chantent avec nuance et douceur. Le choeur qui ouvre l’opéra est remarquable d’élégance musicale. Le choeur de l’Opéra de Paris ne nous habitue pas à tant de luxe! Il n’y a rien à redire non plus de l’orchestre et de son chef Franz-Welser-Möst qui assume d’une main de fer la partition en rendant toute sa fraîcheur à cet ouvrage ainsi que sa gravité dans les combats. Il insuffle une élégance à l’ensemble tout à fait notable. Cette grande salle internationale n’a certes pas le prestige du Met ou bien de la Scala mais elle sait réunir de très bonnes distributions. Le cast de ce soir réunit les plus fidèles de la troupe de l’Opernhaus de Zürich et l’on ne peut qu’espérer qu’ils reviendront de temps en temps à Paris pour continuer à livrer leurs belles productions.
Un très agréable spectacle servi par une équipe qui ne ménage pas ses efforts vocaux et scéniques pour tenter de défendre cette musique. A part quelques passages vraiment très réussis, le duo entre Emma et Eginhard, un air de Florinda, Schubert se perd un peu dans les ensembles et il semble chercher sa voie à plusieurs reprises. Il n’en reste pas moins que mise en scène et interprètes redonnent vie à Fierrabras avec talent et il est à espérer que de telles entreprises courageuses se poursuivront! Manon Ardouin
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