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Esotérik Satie

Paris
Musée d'Orsay
03/07/2006 -  
Erik Satie : Uspud – Le Fils des étoiles

Jean-Claude Dreyfus (récitant), Susan Manoff (piano)


Malgré l’année Mozart, le printemps parisien sera wagnérien: en attendant la reprise du Ring au Châtelet et alors que le riche programme de musique filmée “Wagner, wagnériens, wagnérisme...” bat son plein à l’Auditorium du Louvre, le Musée d’Orsay entame pour sa part un cycle de quatre concerts, chacun précédé d’une conférence, qui, jusqu’au 6 avril, explore le thème “Wagner, Liszt et la France”.


Ouvrir cette série par une soirée consacrée à Satie ne constituait un paradoxe qu’en apparence, car non seulement le compositeur de Parade a été contraint, comme tous ses contemporains, de se situer par rapport à l’héritage wagnérien, mais Joséphin Peladan, le fondateur de l’ordre de la “Rose+Croix catholique du temple et du graal”, qu’il a fréquenté aussi brièvement qu’assidûment, faisait partie des zélateurs français du maître de Bayreuth.


Cela étant, Uspud (novembre 1892), “ballet chrétien” en trois actes, n’a pas grand-chose à voir avec les wagnériens ni d’ailleurs avec les rosicruciens, dont Satie venait de se séparer. Destinée au cabaret montmartrois “L’Auberge du clou” et à son harmonium (une “vieille carcasse” dont celui que son compatriote honfleurais Alphonse Allais appelait Esotérik ne tirait pas moins, selon un témoin de l’époque, des “sons exquis”), cette rareté (l’œuvre n’est pas éditée) se présente sous la forme d’un mélodrame, les interventions du récitant alternant avec la musique, qui se contente de commenter – et encore – bien davantage qu’elle n’évoque ou ne décrit. Parodie potache de mysticisme chrétien, le livret de Contamine de Latour narre, dans un style à la fois volontairement ampoulé et gore et dans un décor que l’on s’imagine plus proche de l’univers de Dali ou de Chirico que de celui de Puvis de Chavannes, la conversion, l’autoflagellation et le martyre de son unique personnage.


Nulle raison de s’en plaindre – car Jean-Claude Dreyfus, tour à tour sentencieux et humoristique, puissant et halluciné, jouant même de la caisse de résonance offerte par le piano, s’investit pleinement dans cet ovni littéraire – mais la lecture occupe l’essentiel des cinquante minutes: ne seront épargnées au public ni la généalogie saugrenue d’Uspud, ni les préfaces et dédicaces des auteurs, ni les “attestations” prétendument délivrées par divers personnages historiques au cours de séances de spiritisme. La partition tient donc une place relativement modeste, quoique tout sauf anodine: d’un statisme hypnotisant, sciemment détachée des cataclysmes et bains de sang décrits par le texte, elle procède, à la manière des Vexations composées quelques mois plus tard, par unissons des deux mains ou, au contraire, enchaînements d’accords complexes, passant de la modalité au chromatisme postwagnérien, dans une indécision tonale qui rappelle curieusement le dernier Liszt.


Si Satie, avec son sens coutumier de la provocation, s’acharna à obtenir de l’Opéra un refus explicite de faire représenter son ballet, Peladan reçut la même réponse négative de la Comédie française et de l’Odéon pour son Fils des étoiles: créée en mars 1892 à l’occasion de la première manifestation publique de l’ordre, la pièce fut en même temps l’apogée et la fin de sa collaboration avec son “maître de chapelle”, qui s’empressa de fonder une “Eglise métropolitaine d’art de Jésus conducteur” dont le principal avantage fut qu’il en demeura le seul adepte.


Il n’est pas surprenant que Peladan, compte tenu de ses préférences esthétiques, ait choisi de qualifier Le Fils des étoiles de “wagnérie kaldéenne”. S’agissant de la Chaldée, le contrat est rempli: 3 500 ans avant Jésus-Christ, le conte y convoque rois, bergers et mages; s’agissant en revanche de la “wagnérie”, on se doute que Satie élude soigneusement la question. Ou faut-il considérer que par la répétition en boucle de courts fragments, il singe jusqu’à l’absurde le procédé du leitmotiv? Toujours est-il qu’il vise à établir une ambiance hors du temps, tant en brouillant les pistes stylistiques et chronologiques qu’en adoptant une allure le plus souvent très lente et en refusant obstinément toute perspective de variation. Le prétendu orientalisme renvoie parfois aux Gnossiennes, avec un propos moins iconoclaste et sibyllin mais aussi plus ambitieux, ne serait-ce que par sa durée, que celui d’Uspud, consentant même parfois à s’animer ou à basculer dans le grandiose.


Dans Uspud, la performance était d’abord celle de l’acteur, mais les rôles sont ici inversés, de telle sorte que certains spectateurs ont eu tort de profiter de l’entracte pour s’éclipser s’ils craignaient de subir à nouveau une trop grande prépondérance du texte: le rapport est en effet tout autre, avec, pour vingt minutes de lecture, pas moins d’une heure de musique. Chaque acte comprend un bref “prélude” (trois à quatre minutes), à l’origine pour flûte et harpe, et une “musique” (quinze à dix-huit minutes), dont seule une version pianistique est parvenue jusqu’à nous. Jean-Claude Dreyfus est donc ici cantonné à un résumé de l’action, aux inévitables préfaces ou dédicaces, à la présentation des thèmes musicaux et aux indications de jeu, déjà typiquement satistes (“En regardant de loin”), qui émaillent les Préludes. Quant à Susan Manoff, elle semble s’attacher à mettre en valeur de façon presque trop expressive et chatoyante une musique que Satie voyait pourtant “blanche et immobile”.



Simon Corley

 

 

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