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L'orchestre symphonique en majesté

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
01/21/2006 -  et le 22/01/2006
Richard Strauss : Mort et Transfiguration
Gustav Mahler : 4e Symphonie

Ruth Ziesak (soprano), Staatskapelle Dresden, Daniele Gatti (direction)

Une brève tournée européenne de la Staatskapelle de Dresde (Francfort, Freiburg, Naples et Rome) s’est arrêtée pour deux soirs à Strasbourg, ville où malheureusement les grandes phalanges symphoniques internationales ne se produisent plus guère. Si le jumelage qui unit Dresde et Strasbourg depuis 1990 -et dont les répercussions tangibles sur la vie culturelle des deux cités restent à vrai dire plutôt discrètes- pouvait au moins inciter un orchestre aussi fabuleux à des visites plus régulières on s’en verrait ravi. Quoiqu’il en soit, ce n’était là en 16 ans que la deuxième occasion d’entendre à Strasbourg cette mythique Staatskapelle, dont le précédent passage avait pourtant laissé des souvenirs ineffaçables (Giuseppe Sinopoli disloquant sournoisement une malheureuse 2e Symphonie de Brahms, mais laissant s’épanouir en revanche un Heldenleben de Strauss d’une sidérante beauté).


L’un des meilleurs orchestres du monde ? Assurément. Et ce même quand il est confié à des chefs pas complètement à sa mesure. On accueille ainsi avec un rien d’inquiétude la nomination de Fabio Luisi, directeur musical de la Staatskapelle à partir de 2007, et dont on ne voit pas exactement en quoi ses compétences du moment (celles d’un bon chef de répertoire lyrique) sont celles requises pour faire tourner à plein régime une phalange d’une pareille splendeur. Cela dit, on s’était interrogé tout autant lors de la nomination de Giuseppe Sinopoli en 1992, personnalité brillante davantage que bon technicien, et musicien parfois discutable. Or force est de constater aujourd’hui que rien dans cette formation d’élite ne révèle le moindre signe de déclin (contrairement à ses homologues de Berlin et Vienne, apparemment beaucoup plus sensibles à des choix de chef hasardeux). Au contraire, chaque nouvelle audition interpelle davantage, comme si le temps qui passe rendait toujours plus mystérieuses les recettes d’une alchimie sonore d’une perfection perpétuellement renouvelée.


Un concert de la Staastkapelle de Dresde c’est avant tout l’impact immédiat d’un son instrumental particulièrement nourri, une sorte d’opulence naturelle que l’on retrouve tant au niveau des vents (ce soir là : des flûtes et des cors d’un éclat quasi-solaire) qu’au niveau de cordes d’une stupéfiante homogénéité. L’amplitude dynamique ne semble pas suscitée ici par une quelconque forme d’agitation ou de nervosité mais semble générée simplement par les capacités de chacun à porter sa sonorité à un rayonnement maximal. Une sereine assurance qui s’apprécie au premier chef dans les musiques de Wagner et de Richard Strauss, dont cet orchestre sait rendre les sortilèges avec une splendeur époustouflante, et pourtant jamais asphyxiante. Peut-être parce qu’ici, contrairement à ce qui se passe avec certaines phalanges américaines sur-brillantes, les sonorités à plein régime restent pleines et gorgées de substance, comme patinées, à l’image d’instruments qui conservent visuellement les couleurs chaudes et les vernis sombres de vieux meubles amoureusement lustrés (la quasi-intégralité de cet instrumentarium d’exception a échappé aux inondations destructrices qui ont submergé Dresde au cours de l’été 2002, l’orchestre se trouvant alors par chance… en déplacement à Salzbourg !). A ceux qui n’ont jamais eu la chance d’écouter ce miracle sur le vif, on recommandera au moins, toutes affaires cessantes, quelques auditions de disques : le Tristan et Isolde de Carlos Kleiber (DG), l’intégrale des Poèmes Symphoniques et des Concertos de Richard Strauss dirigés par Rudolf Kempe (indispensable coffret de 9 CD, économique chez EMI voire carrément bradé chez Brilliant Classics), voire la Tétralogie dirigée par Marek Janowski pour Eurodisc (souvent décriée pour ses chanteurs occasionnellement discutables, mais sertie dans un écrin orchestral perpétuellement enivrant).


Le public habituel de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg (qui accueillait ces deux concerts dans le cadre de sa saison d’abonnement) ne s’y est en tout cas pas trompé : une qualité d’attention assez exceptionnelle, et à l’issue de chaque œuvre une très longue plage de silence avant les premiers applaudissements, comme s’il était décidément bien difficile de rompre le charme. Il n’en est que plus dommage que la (trop ?) grande salle du Palais de la Musique n’ait pas été davantage remplie (un auditoire limité aux seuls abonnés habituels, alors qu’un tel concert aurait dû légitimement attirer un public beaucoup plus large, mais encore aurait-il fallu pour cela s’offrir une publicité un peu moins confidentielle…).


Dans Mort et Transfiguration de Richard Strauss l’orchestre est évidemment le mieux à son affaire et le chef ne sert presque que de faire valoir. Inutile de décrire davantage cette alchimie du son, qu’il vaut mieux recommander une fois encore d’essayer de découvrir par ses propres oreilles, au disque ou mieux encore au concert. Pour autant la direction de Daniele Gatti est tout sauf insignifiante, avec des appuis bien marqués et de louables scrupules d’intériorité et d’évitement de toute sentimentalité trop suave. Mais il est évident qu’ici le spectacle se situe avant tout dans l’orchestre, du premier au dernier rang, et qu’une exécution de ce calibre est de celles qui ne s’oublient plus.


La 4e Symphonie de Mahler pose davantage de problèmes. D’abord parce que Ruth Ziesak, quelque soit l’estime que l’on puisse conserver pour cette chanteuse délicieuse, n’a vraiment pas l’envergure vocale pour se confronter à un orchestre pareil. Même quand le chef s’efforce d’écraser le son jusqu’à un minimum de décibels (effort méritoire, face à des musiciens aussi naturellement généreux) le medium de la voix passe mal. Seul l’aigu se déploie sans effort, toujours aussi lumineux, mais il est trop peu souvent sollicité pour équilibrer un Lied qui devrait paraître de bout en bout évident et facile.


Et puis la conception même de Daniele Gatti paraît inadéquate : à force de monter en épingle chaque détail digne d’intérêt, de souligner chaque verdeur des bois et chaque coloration des cuivres, ce discours mahlérien ne s’énonce plus qu’en phrases passablement démantibulées voire erratiques. Suspense et imprévisibilité sont certes une composante évidente d’une telle musique, dont la structure n’est pas que symphonique mais aussi narrative et dramatique. Cela dit, il est quand même dommage que dans une telle interprétation l’incident de parcours prenne à ce point le pas sur la grande forme. Et il est indéniable que le pouvoir d’évocation du 3e mouvement, moment de magie impalpable qui devrait sembler comme suspendu au-dessus du vide, s’en trouve ici quelque peu amoindri. La féérie instrumentale du second mouvement, fascinant festival dispensé par un véritable orchestre de solistes (dont un premier violon d’une aisance fantastique) constitue sans doute le meilleur moment de cette interprétation très personnelle, lecture de Daniele Gatti qui paraissait plus défendable l’été dernier à Salzbourg, mais il est vrai avec un autre orchestre (la Philharmonie de Vienne, dont les timbres naturellement transparents et ductiles sont sans doute plus adaptés que les sonorités de Dresde, presque trop pleines et nourries pour un tel sujet).


Applaudissements frénétiques et public manifestement comblé. A quand la prochaine visite ?



Laurent Barthel

 

 

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