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Tate épate la galerie Paris Salle Gaveau 12/07/2005 - Wolfgang Amadeus Mozart : Adagio et fugue, K. 546 – Symphonie n° 39, K. 543
Johann Sebastian Bach : Ricercar à six extrait de «L’Offrande musicale» (orchestration Anton Webern)
Richard Strauss : Métamorphoses
Orchestre de Paris, Jeffrey Tate (direction)
Le dernier des trois programmes donnés à Gaveau par l’Orchestre de Paris en formation réduite coïncidait avec son ultime concert de l’année, les premier rendez-vous de 2006 étant fixés au 20 janvier pour le début d’une série de musique de chambre intitulée «L’Europe musicale», puis au 26 janvier pour la suite de la Tétralogie mise en scène par Robert Wilson. Et le nom de Jeffrey Tate – auquel on se félicitait que cette soirée fût confiée, tant il s’est fait rare ces dernières années dans la capitale, puisqu’il faut sans doute remonter à son Wozzeck de mai 1999 à Bastille (voir ici) – évoque précisément le Ring: en effet, c’est lui qui, après avoir été l’assistant de Boulez à Bayreuth en 1976, avait dirigé la précédente production scénique de l’intégralité du cycle présentée à Paris – déjà au Châtelet, mais avec l’Orchestre national, dont il fut le premier chef invité dans les années 1990.
Riches en correspondances – ne serait-ce que la tonalité d’ut mineur ou de son relatif majeur qu’elles partagent – les quatre œuvres à l’affiche n’en appartenaient pas moins à des esthétiques et à des climats fort différents, exigeant de ce fait un talent protéiforme dont ont su faire preuve le chef comme les musiciens. Dès l’entrée des basses, rugueuse et saisissante, de l’Adagio et Fugue (1783/1788) de Mozart, le spectateur est placé in medias res: dans cette salle dont l’acoustique très naturelle pardonne peu, l’absence de round d’observation ne prend cependant pas en défaut l’homogénéité et la cohésion des quarante cordes, tandis que Tate conduit un discours rigoureux et carré, soigneusement construit, sans concession au pathos.
Le travail qu’il effectue ensuite sur la Trente-neuvième symphonie (1788) force l’admiration. Refusant de s’en tenir confortablement à une approche exclusive, qu’elle soit «baroque» ou moderne, il emprunte avec une réjouissante liberté à différents styles d’interprétation, sans céder aux facilités de la tradition ronronnante ou de l’originalité à tout prix. Débarrassée de toute solennité empesée, élancée et vigoureuse, puissante sans brutalité, la musique va toujours de l’avant, encouragée de la voix par un chef qui sait exactement où il veut aller: si l’arrière-plan maçonnique, l’inquiétude ou les demi-teintes ne sont certes pas privilégiés, et si l’articulation paraît parfois un peu raide, il est difficile de résister à ces tempi rapides (premier et troisième mouvements) mais pas précipités, à ces accents bien marqués mais point trop appuyés, à cette vision parfaitement réalisée, aussi cohérente que dépourvue de fadeur. Tate convainc également les membres de l’orchestre au point que ceux-ci, fait exceptionnel, l’applaudissent dès la fin de la première partie.
Autant celle-ci avait été rondement menée, autant la seconde partie semble suspendre le temps. On retrouvait d’abord Bach, déjà inspirateur implicite de Mozart dans l’Adagio et Fugue, mais cette fois-ci sous le prisme de Webern et de son orchestration (1935) du Ricercar à six extrait de L’Offrande musicale (1747). Tate opte ici pour un phrasé tout sauf froid et objectif, dans un esprit postromantique tant par le caractère résolument expressif que par la richesse des sonorités qu’il confère à cette pièce, sans sacrifier toutefois le méticuleux équilibre chambriste de l’ensemble.
Dans les Métamorphoses (1945) de Richard Strauss, le chef britannique domine sans peine les récentes versions entendues à Paris, aussi bien sous la direction de Holliger (voir ici) que de Nagano (voir ici). Grâce à des phrasés superbement dessinés et au soin constamment accordé, dans ce flux incessant de notes, à la respiration, il parvient à tenir de part en part la gageure d’une lenteur extraordinairement audacieuse (près de trente-quatre minutes, contre vingt-sept seulement pour Nagano, par exemple). L’ample méditation prend ainsi une tournure mahlérienne, magnifiant l’écriture à vingt-trois parties réelles, avec une battue remarquablement claire et précise qui ne perd de vue ni la progression que trace cette construction en arche, ni la lisibilité des différentes voix. Probablement aussi éprouvante que stimulante pour les archets, cette conception quasi mystique, sorte de transe permanente, trouve un relais splendide au sein des pupitres de l’Orchestre de Paris.
Le retour de Jeffrey Tate à la tête de cette formation au cours de la saison prochaine serait acquis: un moment qui est donc d’ores et déjà attendu avec impatience et qu’il ne faudra manquer sous aucun prétexte.
Simon Corley
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