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Telemann invite Haendel, Purcell et Monteverdi à sa table ! cinq étoiles ! Paris Théâtre des Champs-Elysées 11/23/2005 - Airs extraits d’opéras de Haendel, Purcell et Monteverdi
Georg Philipp Telemann : Tafelmusik
Arcangelo Corelli : Concerto grosso opus 6 n°3
Magdalena Kozena (mezzo-soprano)
David Daniels (contre-ténor)
Kammerorchester Basel
Paul Goodwin (direction)
Magdalena Kozena et David Daniels sont réunis au Théâtre des Champs-Elysées pour un concert consacré presque exclusivement à Haendel. Les deux chanteurs ont véritablement enflammé la salle par leur chant virtuose mais également par leur subtile musicalité.
Magdalena Kozena a déjà fait ses preuves au disque dans Haendel notamment avec un magnifique récital de cantates et une Cléopâtre, tous les deux sous la baguette de Marc Minkowski. Elle reprend ici deux airs d’Ariodante, le fameux « Scherza infida » et « Dopo notte », deux airs aux esthétiques complètement opposées. Il est évidemment hors de question de comparer Anne-Sofie von Otter qui a immortalisé le premier air lors d’un concert puis d’un enregistrement mémorables, car leurs approches sont radicalement différentes. La mezzo tchèque dessine un Ariodante dominé par la colère, la déception et le mépris : elle ne souffre qu’à de très rares moments et contient, à peine, sa rage pendant tout l’air. Dès les premières notes elle crie toute sa colère dans un « scherza infida » aux notes enlaidies volontairement. Ce n’est que dans les vocalises descendantes sur « ah… » que la douleur du personnage se fait sentir, douleur toute retenue. Un air de Haendel comporte plusieurs reprises, et particulièrement celui-ci, et demande donc, de la part de l’interprète, beaucoup d’imagination. Magdalena Kozena non seulement garde une ligne de conduite (la colère et la déception) dans cet air mais la module surtout dans les « ah » : les derniers, ainsi, sont coupés par de petites respirations. Elle n’hésite pas à ajouter un peu d’air à sa voix dans la phrase « a morte » pour rendre l’idée encore plus prenante. A la fin de l’air, on a véritablement l’impression d’avoir découvert un nouvel air de Haendel car il ne ressemble à aucune autre interprétation. Le « dopo notte » est remarquablement bien chanté et Magdalena Kozena se lance dans d’interminables vocalises, mais cet air lui convient moins bien. Il est toutefois manifeste qu’elle prend un immense plaisir à le chanter. En ouverture du programme, la chanteuse a interprété, mais « a vécu » devrait-on plutôt dire, la mort de Didon. Rarement ce passage n’a dégagé autant d’émotion ! Dans ses premières notes, elle crée un monde de douleur et il n’est pas besoin de mise en scène pour saisir le désespoir de la reine de Carthage : Magdalena Kozena plante le décor avec l’évolution de ses « remember me », le premier sur un crescendo, le second avec des larmes et le dernier en mezza-voce. Elle parvient à une immense intensité dans les vocalises ascendantes et descendantes sur « ah ». Il faut aussi souligner que l’orchestre est particulièrement inspirée dans cette page de Purcell : il laisse mourir la musique à la fin, il adopte un tempo pas trop rapide mais pas aussi trop lent et Paul Goodwin soutient complètement la chanteuse pour ses respirations, ses retenues, etc… La voix de Magdalena Kozena a encore gagné en velours, en vibrato et en chaleur. Une telle qualité vocale, associée à un engagement de feu, fait d’elle une artiste unique que l’on aimerait entendre et voir plus souvent à Paris.
David Daniels est également un fabuleux interprète de Haendel et on se souvient avec émotion de son unique Jules César à Garnier en 2002. Le contre-ténor parvient à allier virtuosité et sensibilité même dans des airs (du moins des passages) qui ne sont qu’une succession de prouesses techniques. Il ouvre le concert avec « Fammi combattere » d’Orlando qui est une sorte d’exposition de ses moyens vocaux : il prouve qu’il n’est pas en reste avec les vocalises mais c’est surtout dans les notes éthérées, légères et magiques qu’il se spécialise comme dans les « o » de « valor » qui sont d’une pureté parfaite. David Daniels a été un remarquable Bertarido au Met la saison dernière et il le confirme avec le « Dove sei » de Rodelinda : la première note sur le « dove » est en réalité une note tenue qu’il développe sur un crescendo auquel vient se greffer peu à peu un vibrato, mais très léger. Il éclaire progressivement l’air – et donc le personnage – avec des notes pures et lumineuses surtout sur « « abbia l’alma riposo ». Il exécute de très longues vocalises sur le « vieni », tout cela avec un souffle qui se réalimente de lui-même et avec une facilité confondante. Malheureusement l’orchestre est ici un peu lourd. Devant un public aussi enthousiaste, les deux chanteurs ont enchaîné trois bis dont le fameux final du Couronnement de Poppée « Pur ti miro, pur ti godo ». Les deux voix résonnent parfaitement ensemble et s’embellissent – si besoin était – l’une au contact de l’autre pour s’harmoniser sur les dernières notes. Ce bis est peut-être le plus beau passage du concert tant l’émotion est à son comble ! Le second passage du duo est un véritable dialogue entre les deux personnages, chacun réassurant l’autre de son amour avec une telle homogénéité vocal : on n’est pas très loin de la stichomythie de la tragédie grecque.
Le concert est ponctué d’extraits de Telemann tirés de la Tafelmusik. Paul Goodwin sait se montrer un fin conteur car il adapte son orchestre à chacune des formes musicales. L’ouverture est jouée avec une certaine solennité notamment grâce au contrebassiste qui martèle le rythme. La « bergerie » est, en revanche, interprétée avec beaucoup d’humour (les trilles sont très légers. Les tempi adoptés par l’orchestre, surtout dans les airs, ne sont pas forcément toujours très judicieux notamment dans Ariodante. Le « scherza infida » est assez rapide mais en adéquation avec le projet de Magdalena Kozena. En revanche le « dopo notte » n’est pas assez vif, ici aussi pour permettre à la chanteuse de réussir toutes les notes de ses vocalises. Il est vrai que l’interprétation de Marc Minkowski reste et restera dans les mémoires. Mais dans les pièces seulement instrumentales, l’orchestre se montre subtil et paré de mille couleurs. Ainsi dans le début du concert grosso opus 6 n°3 de Arcangelo Corelli, Paul Goodwin fait venir peu à peu les notes pour les laisser se développer avec une fine alternance entre crescendo et decrescendo : l’orchestre donne les notes puis se retire furtivement. L’effet est très bien réussi et efficace! Le premier violon se montre habile dans l’air de Jules César où il doit rivaliser avec le chanteur.
Le théâtre des Champs-Elysées a résonné ce soir des plus belles notes de Haendel défendu par deux artistes exemplaires. Après un tel concert on ne peut que rêver de les retrouver ensemble sur scène pour servir Haendel et Monteverdi !
A noter :
- David Daniels réendossera le costume de Jules César à Glyndebourne du 5 au 26 août 2006, avec la Concert d’Astrée et Emmanuelle Haïm.
Manon Ardouin
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