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Un véritable coup de maître!

Lille
Opéra
11/16/2005 -  
Claudio Monterverdi : Airs et Madrigaux
Il combattimento di Tancredi e di Clorinda

Rolando Villazon, Topi Lehtipuu (ténors), Kerstin Aveno (soprano)
Le concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)

Rolando Villazon dans le répertoire baroque ? association curieuse s’il en est mais qui s’avère, au bout de quelques notes, un mariage exceptionnel! Le ténor mexicain, adulé en Roméo ou en Des Grieux, fait à l’opéra de Lille ses premiers pas dans le monde baroque et se joue, avec brio, de toutes les difficultés vocales et stylistiques de Claudio Monteverdi.


La première partie du concert est consacrée à divers madrigaux et airs. « Interrotte speranza, eterna fede » ouvre la soirée et dès les premières notes, Rolando Villazon donne une nouvelle couleur, une nouvelle énergie à l’interprétation de la musique baroque. Il décrit tous les sentiments de la plainte, ses « cessi » sont empreints d’une grande douleur, à l’amour, dans les « baci » de « Tornate, o cari baci », en passant par la colère dans l’appel à la guerre dans le Combattimento. Le deuxième madrigal est également très beau « Ecco di dolci raggi il sol armato » : la place confortable où se trouve sa voix lui permet de nuancer sa voix et ce dans une même phrase. Par des micro-respirations il réalimente la ligne de chant et apporte ainsi une élégance supplémentaire. Il se distingue également dans les vocalises, auxquelles son répertoire originel ne le destine pas, sur le mot « arda », lui donnant encore plus de chair. Rolando Villazon est un acteur dans l’âme et ses nombreuses incarnations scéniques ont déjà prouvé qu’il est capable de se glisser dans la peau de n’importe quel personnage. Ici il ne dispose pas d’une mise en scène mais qu’à cela ne tienne, c’est lui qui va la créer, l’installer et la développer: il est son propre maître avec sa voix et il va tenter de raconter une histoire en l’espace de quelques minutes. Et le pari est entièrement gagné ! Son interprétation du Combattimento est vraiment impressionnante et il tient le public en haleine pendant un quart d’heure. Il ne cesse de le fixer pour accentuer l’effet dramatique et, même si le texte est en langue étrangère, la lecture du morceau est parfaitement intelligible tellement l’histoire transperce à travers la voix du chanteur. Rolando Villazon ne chante pas la musique de Monteverdi avec la même sobriété, la même solennité que ses collègues qui n’évoluent que dans la sphère baroque. Au contraire, il y met un feu, une chaleur et une puissance vocale qui le distingue fondamentalement. Le madrigal Il combattimento di Tancredi e di Clorinda est d’une intensité rare tant Rolando Villazon apporte une vie à chacune des phrases. Il se montre très attentif au texte : quand il décrit l’état des deux héros, il prend une voix haletante puisque les personnages sont « haletants », lassée puisqu’ils sont « lassés », etc… Il se colle au plus près des mots grâce aussi à une parfaite diction ! La partition lui demande des prouesses vocales dont il n’a pas l’habitude mais il se défend admirablement et avec une virtuosité confondante : dans « Eri gia tutta mia », il commence une vocalise tout en changeant de nuance. Ce répertoire sollicite davantage son medium, voire ses graves, que ses aigus : il peut alors dévoiler une voix magnifique dans ce registre.
A côté d’un tel engagement Topi Lehtipuu paraît bien fade. Il reste dans les canons de l’interprétation baroque, à savoir une voix blanche avec peu ou pas de vibrato et une certaine retenue dans le texte. Il parvient à trouver un sens dramatique à partir du milieu du concert dans le madrigal « Maladetto sia l’aspetto » où il travaille particulièrement les différents « maladetto » : il arrive alors à une certaine intensité musicale. Son chant désespéré trouve également un appui dans les accords francs et soutenus du clavecin. Topi Lehtipuu prend ses marques dans « Tempro la cetra » rempli de vocalises et il donne une grande tension à l’ensemble, grâce aussi aux violons dont les notes pleurent littéralement. Il faut cependant reconnaître que les deux voix fonctionnent très bien ensemble au point qu’on finit par n’en entendre plus qu’une, avec des harmoniques aigues et lumineuses ainsi que des graves voluptueux. Il règne également une très grande complicité entre les deux chanteurs, complicité musicale évidente quand les morceaux demandent aux deux interprètes de se répondre en écho comme dans les « baci » de « Tornate, o cari baci », mais également amicale dans le bis de l’Orfeo où ils rivalisent dans les vocalises et les notes tenues. Rolando Villazon termine de mettre le public dans sa poche en s’amusant avec le pupitre, les partitions, etc… Il est sûr que c’est assez inhabituel de rire dans un concert baroque mais là il faudrait rester de marbre pour ne pas fondre devant lui !
Kerstin Aveno, jeune soprano, ne convainc guère. Elle possède une jolie voix, agréable à entendre mais malheureusement pas toujours très charnue et la justesse est parfois très approximative. Elle apporte une certaine fraîcheur à la musique de Monteverdi mais sa voix est à certains moments voilée ou du moins laisse passer du souffle. Elle interprète le lamento « Ferma, lascia ch’io parli » de Carissimi avec tout son cœur mais ses notes sur « a morir » sont à la limite du cri, en partie parce que la tessiture utilisée est trop haute pour elle. En revanche elle se montre une fine interprète dans les passages plus intenses, notamment avec des « addio » retenus, doux et expressifs. On ne peut toutefois pas s’empêcher de souligner un certain mauvais goût dans son interprétation.


Les trois chanteurs sont très bien soutenus par Emmanuelle Haïm qui ne ménage pas son orchestre : elle le lance dans un tempo très vif pendant la bataille du Combattimento. Quelques pièces instrumentales sont intégrées dans les madrigaux notamment cette charmante plaisanterie musicale de Biagio Marini et, appelée Eco a tre violini : ce morceau souligne la virtuosité des violonistes, en particuliers Stéphanie-Marie Degand, puisque les violons se répondent en rivalisant de double-croches. La Sonata a tre violini de Buonamente est également très bien interprétée et une certaine vie passe de violon en violon.


Indéniablement on a assisté ce soir à la naissance d’un grand chanteur baroque, d’un conteur, … Non seulement la voix a rarement été aussi belle, mais l’interprète qui se cache derrière a su aussi insuffler une vie à ce répertoire. Espérons très fort que les projets vont se multiplier car si Rolando Villazon reste envers et contre tout le ténor lyrique idéal, il peut rapidement parvenir à une grande notoriété dans le monde très fermé des « baroqueux ».




A noter :
- Ce concert est une séance d’enregistrement qui donnera lieu à un disque.
- Trois disques de Rolando Villazon viennent de sortir : La Traviata avec A. Netrebko et T. Hampson en live du festival de Salzbourg 2005 2CD chez Deutsche Grammophon, avec A. Roocroft, R. Lloyd enregistré à l’opéra d’Amsterdam en 2004 en DVD chez TDK et la bande-annonce du film Joyeux Noël avec N. Dessay chez Virgin
- Emmanuelle Haïm continue son exploration de Haendel avec un nouvel enregistrement : Delirio amoroso, cantates de Haendel avec Natalie Dessay, chez Virgin.



Manon Ardouin

 

 

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