Back
Great expectations Paris Théâtre du Châtelet 10/19/2005 - et 23, 25 octobre, 1er novembre 2005, 30 mars, 8 avril 2006 Richard Wagner: Das Rheingold
Jukka Rasilainen (Wotan), Laurent Alvaro (Donner), Endrik Wottrich (Froh), David Kuebler (Loge), Sergei Leiferkus (Alberich), Volker Vogel (Mime), Franz-Josef Selig (Fasolt), Günther Groissböck (Fafner), Mihoko Fujimura (Fricka), Camilla Nylund (Freia), Qiu Lin Zhang (Erda), Kirsten Blaise (Woglinde), Daniela Denschlag (Wellgunde), Annette Jahns (Flosshilde)
Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach (direction)
Robert Wilson (mise en scène, scénographie et lumières), Frida Parmeggiani (costumes), Kenneth L. Schutz (lumières)
Le Châtelet accueille l’événement de l’automne parisien, à savoir le début d’un Ring coproduit avec l’Opéra de Zurich, dont la présentation sera échelonnée en six cycles complets d’ici avril 2006 (dont deux au printemps).
Evénement, car la Tétralogie, c’est toujours un événement en soi, sa dernière apparition scénique dans la capitale remontant à 1994, également au Châtelet, dans la vision de Pierre Strosser, associé à Jeffrey Tate à la tête de l’Orchestre national. Alors, même si le prix des billets a atteint les sommets (de 40 à 200 euros), la foule est naturellement au rendez-vous (mais il reste encore des places pour les prochaines représentations).
Evénement, car la confrontation de Robert Wilson avec l’univers de Wagner provoque inévitablement la curiosité, même si l’Américain possède déjà à son actif Parsifal à Hambourg (1991) et Lohengrin à Zurich (1998) et même si l’Anneau du Nibelung, qui en a vu bien d’autres en près de cent trente ans d’existence, des peaux de bête originelles à la science-fiction de Kupfer, a les épaules suffisamment larges pour résister à toutes sortes d’iconoclasmes.
Evénement, car de grandes voix sont attendues: Sergei Leiferkus, Petra-Maria Schnitzer, Linda Watson, Marisol Montalvo, Peter Seiffert, Dietrich Henschel, Kurt Rydl et, pour la seconde série de La Walkyrie (en avril prochain), Placido Domingo.
Evénement, car l’Orchestre de Paris et son directeur musical, Christoph Eschenbach, sont de l’aventure, affiche prometteuse au vu de la régularité et de l’excellence dont ils ont fait preuve ensemble au cours des dernières années.
Dire, à l’issue de la première de L’Or du Rhin (1854), que cette montagne d’événements a accouché d’une souris serait bien entendu excessif et injuste, car l’impression dominante n’en demeure pas moins celle d’un spectacle parfaitement au point, offrant de grandes satisfactions mais ne suscitant ni l’admiration sans réserve ni même l’étonnement, comme en témoigne une ovation finale assez peu effusive quoique bien nourrie.
Dès lors, c’est sans surprise que l’on retrouve les attributs traditionnels du langage wilsonien: lents déplacements, poses rigides, esthétique des angles aigus, visages blêmes et longues robes du théâtre japonais (costumes de Frida Parmeggiani). Ce travail au fond assez sage, scrupuleusement fidèle au texte malgré une stylisation très avancée, se fonde, comme de coutume, sur un dépouillement particulièrement poussé de la scénographie et des accessoires, allégorie qu’un livret de portée aussi universelle supporte sans peine, d’autant qu’aucun symbole essentiel ne manque, sinon peut-être le Walhalla: Rhin vaporeux dont les nuées se répandent jusque dans la fosse, anneau de grande taille qui entame son itinéraire funeste d’un héros à l’autre, heaume magique, bandeau sur l’œil gauche de Wotan, serpent brillant descendant des combles lorsque Alberich opère se transformation et… bâton de pluie qui ne quitte jamais Donner. Dans de telles conditions, les lumières, dont la réalisation est partagée entre Wilson lui-même et Kenneth Schutz, revêtent une importance cruciale: non seulement elles suivent de près la partition, mais elles ouvrent, y compris par de magnifiques jeux d’ombres, des perspectives que la direction d’acteurs ou les décors se refusent sciemment, le plus souvent, à apporter.
On reste cependant plus perplexe devant l’énigmatique forme géométrique lisse et bleutée qui se meut au sol durant les deuxième et quatrième scènes, ou devant la forêt de barres obliques qui sert de cadre à Nibelheim lors du troisième tableau. De même, la petite troupe de Nibelungen esclaves d’Alberich – joués, comme c’est généralement le cas, par des enfants – prête à sourire: vêtus d’une tenue intermédiaire entre la camisole de force et l’uniforme de combat des CRS, ils gesticulent comme des agents de police réglant la circulation à un carrefour. Quant à la grenouille schématique (mais d’un vert éclatant) qui traduit la seconde transformation d’Alberich, elle soulève quelques rires dans le public.
La distribution peut sans peine être qualifiée, selon la formule consacrée, d’inégale. Plus clair, puissant et lyrique que sombre ou profond, Sergei Leiferkus, malgré la tentation de dire plus que de chanter son rôle, se taille légitimement le plus beau succès au moment des rappels, car il incarne véritablement le roi déchu, notamment au moment de sa malédiction, proférée avec une superbe intensité. A ses côtés, deux artistes s’imposent dans des personnages qui, sans être de premier plan, leur permettent de démontrer toute l’étendue de leur talent: éclipsant le bon Fafner de Günther Groissböck, Franz-Josef Selig déploie une ligne de chant idéale en Fasolt, tandis que Mihoko Fujimura campe une Fricka vindicative, véritable harpie qui passe la rampe sans la moindre difficulté.
C’est en revanche la déception, à des degrés divers, pour deux des principales figures: le Loge de David Kuebler, très irrégulier, tendu dans l’aigu, d’une justesse aléatoire, est toutefois doté d’un sens dramatique remarquable, surtout au regard du peu d’expression et de mobilité qu’autorise l’approche de Wilson; mais la plus grande frustration vient sans doute du Wotan de Jukka Rasilainen, éteint et inexpressif, raide comme s’il ne parvenait pas à s’accommoder des contraintes imposées par la mise en scène, semblant en outre mal à l’aise dès qu’il abandonne le registre médian, avec des attaques fréquemment mal assurées et un timbre trop neutre.
On se réjouit en revanche de pouvoir retrouver plus longuement dans Siegfried, en janvier prochain, le Mime d’excellente facture de Volker Vogel et, dans une moindre mesure, l’Erda aux graves un peu difficiles de Qiu Lin Zhang. Enfin, dans un rapport inhabituellement inversé, le Donner de Laurent Alvaro est plus léger que le Froh luxueusement distribué d’Endrik Wottrich, a contrario un peu trop chargé.
Pour la conception d’ensemble, Eschenbach avait annoncé la couleur: profiter de la sonorité spécifique d’une formation française, faire entendre l’influence de Berlioz mais aussi de Meyerbeer, mais aussi privilégier, à l’instar de Karajan à la fin des années 1960, la transparence ainsi qu’une «atmosphère de musique de chambre», évitant aux chanteurs d’avoir à hurler sans cesse. De fait, l’équilibre entre le plateau et la fosse est irréprochable, ce qui n’empêche pas l’Orchestre de Paris, absolument impeccable, de rutiler du début jusqu’à la fin. Si l’allure générale (deux heures et trente-six minutes), parfois trop retenue lorsque l’action paraît pourtant appeler une certaine animation, est en accord avec la lenteur qui prévaut sur scène, certaines caractérisations (des Filles du Rhin qui minaudent, Fricka transformée en mégère pas très apprivoisée) et la manière d’appuyer certains effets orchestraux créent un hiatus assez inattendu avec l’ascèse des images qui se déroulent sous les yeux des spectateurs.
Le site de Robert Wilson
Simon Corley
|