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L’Histoire, ou comment s’en débarrasser Paris Salle Pleyel 05/19/2000 - Leos Janacek : Tarass Boulba
Karl Amadeus Hartmann : Concerto funèbre pour violon et orchestre à cordes
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 9, opus 70
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 9, opus 70
Thomas Zehetmair (violon)
Orchestre philharmonique de Radio-France, Claus-Peter Flor (direction)
Bien qu’un peu court, ce programme de la série « Vues du siècle » n’en était pas moins remarquable, en ce que les trois oeuvres présentées illustrent trois attitudes du compositeur face à l’Histoire en train de s’écrire.
Alors que la Finlande accède à l’indépendance, Sibelius compose sa Cinquième symphonie, pleine de vigueur et d’optimisme. Au même moment, lorsque Janacek achève Tarass Boulba, la Tchécoslovaquie se dirige également vers l’indépendance. Il n’est donc pas étonnant que cette « rhapsodie », si elle présente des moments épiques, exhale plutôt un nationalisme serein très caractéristique de la musique tchèque.
Tendu, expressionniste et tournant le dos à tout romantisme déplacé, Claus-Peter Flor contrôle chaque instant de ces trois épisodes symphoniques. Cela ne va pas sans une certaine raideur, peu propice à la mise en valeur les élans poétiques si typiquement tchèques de cette partition. Mais il possède suffisamment l’art de la nuance pour offrir une succession de climats contrastés dans une interprétation d’une excellente tenue, de la première à la dernière mesure.
Réduit au silence par le régime nazi, Hartmann, comme Martinu dans son Double concerto, exprime dans sa musique les drames de la fin des années 1930. Ecrit dans les premières semaines de la seconde guerre mondiale, son Concerto funèbre fait aussi référence à la disparition de la Tchécoslovaquie (le choral hussite utilisé par Smetana dans Ma Patrie est cité dans l’Adagio). Dense déploration en quatre mouvements, ce concerto, qui n’est sans doute pas le plus représentatif du style de Hartmann, évoque tour à tour Hindemith, Chostakovitch, Stravinski ou Honegger. Bien que doté d’une belle sonorité dans le registre grave, Thomas Zehetmair ne recherche pas le beau son, mais privilégie une expression très dépouillée, culminant dans l’apaisement (?) final, où il crée une étonnante sensation d’apesanteur. Le Concerto à la mémoire d’un ange n’est peut-être pas loin, Hartmann ayant été l’un des rares élèves de Berg.
Le violoniste autrichien, qui est sans doute le seul à avoir la Deuxième sonate pour violon seul de Hartmann à son répertoire, donne en bis les étourdissantes Variations sur une idée rythmique extraites de cette oeuvre volcanique d’un compositeur de vingt-deux ans, qui adapte au langage des années 1920 les prouesses techniques de Vivaldi, Paganini ou Ysaÿe.
Au lendemain de la victoire sur le nazisme, Chostakovitch livre, avec sa Neuvième symphonie, un de ses plus superbes pieds de nez au régime stalinien : rompant avec le caractère engagé et le gigantisme de ses deux précédentes symphonies et refusant de livrer ce qui aurait été, conformément à l’attente des autorités, le digne épilogue d’une trilogie de la guerre et de la paix, il compose une oeuvre courte, grinçante et de facture apparemment légère. Prokofiev fera de même, deux ans plus tard, dans sa trop méconnue Sixième symphonie. Lorsque Jdanov donnera aux deux compositeurs, en 1947, une tristement célèbre leçon de musique, nul doute qu’il avait à l’esprit la manière dont ces deux artistes avaient voulu afficher leur liberté. Prokofiev obtiendra le prix Staline en 1952 pour sa Septième symphonie ; Chostakovitch, qui avait déjà connu de graves difficultés avec le régime en 1935, préférera conserver dans ses tiroirs son Premier concerto pour violon.
Flor donne une lecture fidèle et transparente de cette symphonie de Chostakovitch. Expressif quand il le faut (Moderato, ou magnifique solo de basson du Largo), servi par la formidable agilité des bois dans le Presto médian, il n’est sans doute pas assez mordant ou sarcastique dans l’Allegro initial et dans l’Allegretto conclusif. Un fort beau concert cependant, qui fait une fois de plus briller l’Orchestre philharmonique, même si ses musiciens ne semblent pas déborder d’enthousiasme pour le chef allemand...
Simon Corley
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