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Face à face Paris Théâtre Mogador 10/09/2005 - Béla Bartok : Sonate pour deux pianos et percussion, sz. 110
Luis Naon : Lettre inachevée (Urbana 3) (*)
Gisèle Barreau : Little rain
George Crumb : Music for a summer evening (Makrokosmos III)
Quatuor Face à face: Mara Dobresco, Victoria Harmandjieva (pianos), Hélène Colombotti, Elisa Humanes (percussion) – Jean Keraudren (ingénieur du son)
La «Tournée générale», grâce à laquelle la Société générale présente chaque année dans toute la France ses différentes actions de mécénat musical, fait étape dans la capitale pour trois programmes à Mogador, qui permettent de mettre en valeur deux des orientations de sa politique dans ce domaine: l’aide aux étudiants du cycle de perfectionnement du CNSMDP, avec deux concerts consacrés aux lauréats de l’édition 2004 de ses «Avant-scènes», qui consistent en une préparation aux concours internationaux et un engagement pour donner un concerto sur une scène parisienne; le soutien à la création, avec un «concert-objet», qui comprend notamment la création de Capt-actions de Fedele, une œuvre pour quatuor à cordes, accordéon et «dispositif de captation gestuelle».
Inaugurant cette série parisienne, le Quatuor Face à face est constitué de quatre jeunes femmes, mais il ne s’agit pas ici d’émules des Psophos, des Alma et autres Ardeo dans le domaine du quatuor à cordes: elles constituent en effet une formation qui vise à explorer le répertoire développé dans la descendance de cette pièce fondatrice qu’est la Sonate pour deux pianos et percussion (1937) de Bartok. L’auditeur reste toutefois quelque peu sur sa faim, car le discours, animé par une urgence hélas trop épisodique, peine à conserver une direction bien définie et la tension retombe trop souvent, même si les percussionnistes, particulièrement Hélène Colombotti, étonnent déjà par leur capacité à faire chanter les notes au moins aussi bien que les pianistes.
C’est elle qui confirme ensuite une grande aisance avec Lettre inachevée pour vibraphone solo de Luis Naon. Dans cette troisième pièce d’un cycle de vingt-quatre (Urbana) en cours d’élaboration, inspirée par la disparition du poète Charlie Feiling (1961-1997), son compatriote et exact contemporain, le compositeur argentin, grâce à une variété de jeux, d’attaques et de sonorités, parvient à créer une polyphonie remarquablement complexe.
Plus développé (une bonne dizaine de minutes), Little rain (1981) de Gisèle Barreau (née en 1948) fait appel aux deux percussionnistes, disposant chacune d’un instrumentarium fourni et assez voisin, pour ne pas dire concurrent. A partir d’un petit motif d’esprit léger, presque moqueur, confié aux deux marimbas, symétries, décalages, conflits et incantations vont s’exacerber, déployant parfois une énergie spectaculaire, avant le retour du motif initial.
De vaste ampleur (près de quarante minutes), les cinq mouvements de Music for a summer evening (1974) pour deux pianos amplifiés et percussion, troisième partie des Makrokosmos de George Crumb, s’inscrivent d’abord expressément dans l’héritage de Bartok et de ses musiques nocturnes (Nocturnal sounds). Mais les événements prennent une autre tournure dans Wanderer Fantasy, où les percussionnistes se livrent à un duo de sifflet à coulisse, improbable Scène aux champs accompagnée par le pincement des cordes des pianos. Dans The Advent, Crumb crée des résonances cathédralesques qui servent de cadre à un choral archaïsant évoquant Arvo Pärt. Myth tourne au happening et au rituel: les interprètes chantent et poussent des cris, les pianistes devant en outre jouer de diverses percussions (guiro, crotale et piano à pouces africain) tandis que l’une des percussionnistes use d’une flûte à bec alto. Plus prolixe, dans une cascade de notes carillonnant comme du Messiaen, Music of the starry night ne renonce pas aux surprises (feuilles de papier couvrant les cordes des pianos, citation de la Fugue en ré dièse mineur du Second livre du Clavier bien tempéré de Bach) et se conclut de façon apaisée, tandis que le noir se fait progressivement sur le plateau.
Les rôles sont inversés dans un bref bis: Hélène Colombotti et Elisa Humanes se mettent au piano à quatre mains (et au timbre toujours modifié par la feuille de papier…), Mara Dobresco et Victoria Harmandjieva se partagent vibraphone et marimba pour l’arrangement de l’une des vingt Children’s songs (1984) de Chick Corea, que les deux pianistes dédient à leurs jeunes enfants.
Le site du mécénat musical de la Société générale
Simon Corley
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