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Et de trois! Paris Théâtre des Champs-Elysées 09/21/2005 - Antonio Vivaldi : La Griselda
Sonia Prina (Griselda), Stefano Ferrari (Gualtiero), Philippe Jaroussky (Roberto), Blandine Staskiewicz (Ottone), Veronica Cangemi (Costanza),
Lestyn Davies (Corrado),
Ensemble Matheus
Jean-Christophe Spinosi (direction) Le théâtre des Champs-Elysées continue avec bonheur l'exploration des opéras oubliés d'Antonio Vivaldi. Après avoir monté ces deux dernières années, l'Orlando furioso et La Fida Ninfa, l'Ensemble Matheus et son infatigable chef Jean-Christophe Spinosi présentent en version concertante La Griselda. C'est une nouvelle réussite et les chanteurs, rôdés aux vocalises interminables de Vivaldi et à ses tempis démesurément lents ou vifs, apportent vie à une œuvre qui est d'une très grande qualité musicale.
L'opéra de Vivaldi raconte l'histoire de Gualtiero et de son épouse Griselda. Le roi de Thessalie s'est marié avec une bergère et le peuple ne cesse de contredire cette union: Gualtiero va éprouver sa femme pour montrer qu'elle est digne de confiance en feignant de la répudier pour épouser Costanza, la fille secrète du couple royal. La reine se laisse faire mais refuse d'écouter Ottone qui ne soupire que pour elle et à qui le roi a donné l'ordre de prendre pour épouse Griselda. Mais Costanza, non plus, n'est pas ravie de ce mariage arrangé car elle aime Roberto et en est aimée. Tout se termine très bien puisque Griselda est vertueuse, elle reste fidèle à son mari jusqu'à la mort et Costanza, reconnue, est rendue à Roberto. L'opéra a été créé en 1735 sur un livret d'Apostolo Zeno revu par Goldoni.
La distribution réunit les plus grands spécialistes de l'esthétique vivaldienne (Philippe Jaroussky, Veronica Cangemi…), mais aussi de nouveaux venus comme le jeune mezzo prometteuse Blandine Staskiewicz.
Le rôle-titre est tenu par Sonia Prina qui a déjà fait ses preuves dans l'univers vivaldien. La voix est chaude, puissante mais parfois manque un peu de timbre. Elle campe une reine digne et noble qui accepte sa condition sans se plaindre. Toutefois, l'interprète est très habile dans les
récitatifs pour crier sa colère quand, par exemple, elle préfère voir mourir son fils plutôt que de s'unir avec Ottone: Sonia Prina trouve ici des accents particulièrement expressifs et effrayants. Dans "ho il cor gia lacero", elle se donne à fond et ses mezza-voce sur "non piu parlare" sont
très éloquents.
Stefano Ferrari chante le rôle de Gualtiero et ce chanteur est une véritable découverte. Il possède un magnifique instrument, solide, agile (les vocalises dans "se ria procella" sont d'une précision étonnante) et coloré de mille nuances. Il s'exprime dans un italien admirable et peut donc donner du sens aux mots comme dans son dernier air "Sento, che l'alma teme" où il colore différemment les multiples "pene" et "amore", jusqu'à les crier. Ce ténor possède l'ampleur nécessaire pour aborder des rôles, comme Mitridate, qui demandent puissance et engagement.
Veronica Cangemi fait toujours autant merveille dans le répertoire vivaldien. Elle apporte la fraîcheur de sa voix pour les rôles de jeune fille et elle dessine une charmante princesse Costanza certes, mais qui est prête à se battre pour son amour. La chanteuse obtient un immense triomphe avec l'air "Agitata da due venti", immortalisé par Cecilia Bartoli. Elle l'aborde d'une manière totalement différente et privilégie l'intensité dramatique à l'accumulation de belles notes pyrotechniques. Le résultat est assez impressionnant et le "naufragar" final presque crié crée une grande sensation. A côté de ce passage exubérant, Vivaldi a écrit pour ce personnage l'air "Ombre vane" qui est une petite merveille de pureté et de douceur, impressions auxquelles Veronica Cangemi rend justice avec une voix toute fine, avec des notes à peine esquissées notamment dans la reprise.
Philippe Jaroussky, grand fidèle de Jean-Christophe Spinosi, illumine toujours l'ensemble avec sa voix d'une pureté confondante. Toutefois son instrument semble se corser un peu plus et le medium se développe alors. L'air "Al tribunal d'amor" en est un bon exemple car il chante tout en douceur mais il sollicite aussi ses graves qui commencent à devenir somptueux. Dans "Che lege tiranna", il retrouve son timbre diaphane qui se mêle aux couleurs de l'orchestre pour ne plus former qu'un seul son. Enfin dans "Moribonda quest'alma dolente" Jean-Christophe Spinosi et lui prennent manifestement un plaisir fou à faire de la musique ensemble car ils se jettent corps et âme dans les vocalises, les retenues de notes, etc… De plus en plus le technicien hors pair laisse place au musicien et Philippe Jaroussky met davantage d'âme dans ce qu'il chante.
Blandine Staskiewicz commence à prendre une place importante dans l'horizon baroque et Jean-Christophe Spinosi l'a déjà employé à plusieurs reprises. Elle revient ici avec un rôle non négligeable et elle dévoile une voix longue, ample et singulière. Elle possède également une énergie qu'elle met au service du personnage qu'elle présente comme un être assez imbu de lui-même et auquel rien ne doit résister. Son interprétation va dans ce sens quand elle décrit la force de ses sentiments pour Griselda dans "Scocca dardi l'altero tuo ciglio": elle met en relief les "r" en les rugissant presque. Elle est tout aussi impressionnante dans les airs plus lents comme le premier qu'elle chante "Vede orgogliosa l'onda" où elle distille des notes plus douces dans un legato parfaitement conduit.
Lestyn Davies est l'autre grande découverte de la soirée. Ce tout jeune contre-ténor est un chanteur à suivre car il montre une voix puissante, franche et ensoleillée. Son chant est loin d'être dépourvu de musicalité comme le démontre son second air "La rondinella amante": il donne des notes très légères, aériennes pour souligner l'intensité de ses propos. Mais il est également capable d'imposer un engagement important dans "Alle minaccie di fiera belva", duo avec un cor, à travers les différents "r" et "t" qu'il accentue violemment.
Tous ces chanteurs sont soutenus par un Jean-Christophe Spinosi toujours aussi inspiré par la musique du Prêtre Roux. Son orchestre alterne subtilité et feu pour donner corps à l'opéra de Vivaldi. Comment résister à l'intelligence du tempo de "Agitati da due venti" qui ne laisse pas libre court à la rapidité et qui impose une tension souterraine? Dans "Ombre vane" il laisse peu à peu mourir la musique pour lui redonner vie avec un furtif crescendo. L'ouverture est également magnifique avec de longs silences expressifs entre les premiers accords: dans la seconde partie, les cordes exécutent des notes piquées, un peu sourdes, et font peu à peu monter le tension dramatique.
Vivaldi, Jean-Christophe Spinosi et son équipe nous font passer, une fois de plus, une excellente soirée où toutes les émotions sont représentées. Le compositeur vénitien est redécouvert avec toujours autant d'enthousiasme par les artistes que par un public qui en redemande. Espérons que ce concert fera aussi l'objet d'un enregistrement et que surtout il soit suivi par beaucoup d'autre d'aussi bonne qualité!
A noter:
- Jean-Christophe Spinosi et Veronica Cangemi se retrouveront au Théâtre du Châtelet pour un concert entièrement dédié aux airs de Vivaldi, le 9 octobre 2005 dans le cadre des concerts du Dimanche Matin.
- Veronica Cangemi abordera Mozart dans Les Noces de Figaro en octobre 2005 au Tce tandis que Jean-Christophe Spinosi dirigera Die Zauberflöte les 8 et 9 décembre 2005 toujours au Tce. Manon Ardouin
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